Les maux de la société tunisienne s’annoncent divers et multiples aujourd’hui. Du point de vue social et culturel, on retient que les gens font preuve d’un cynisme aveugle envers des sujets que les médias manipulent, des propagandes et des informations télévisées hyperboliques. Est-ce le dernier degré de la sauvagerie d’une civilisation mécanique? Et quel serait le rôle du journaliste?
Ce que vivent les médias ces dernières années interpelle et intrigue. Corsetés dans un costume de craintes, les journalistes et historiens de l’instant sont tous mis dans le même sac par une bonne partie inculte de leurs concitoyens. Gouvernants et gouvernés versent souvent dans une critique infondée, ô combien la critique est aisée !
En réitérant la volonté de l’Etat de préserver et de réformer les médias de service public lors de sa dernière visite au siège du journal La Presse, le Chef de l’État est revenu sur la nature du rôle à jouer par le journalisme et les journalistes tunisiens dans une phase transitoire. Pour lui, le pays a besoin d’un journalisme lisible. D’autant que le journalisme est aujourd’hui illisible et la littérature est peu lue chez nous. La Tunisie, en conviennent critiques et penseurs, a de surcroît besoin de médias qui ne matraquent pas en permanence des non-sujets. On a également besoin de journalistes qui ne soient pas de simples tam-tam d’un monde aussi déréglé qu’horrifiant.
L’impératif d’aborder les vrais sujets
C’est un fait accompli : une décennie durant ou presque, nos médias ont présenté des matières qui travaillent à paralyser les références d’un public dans l’appropriation de son imaginaire. Depuis, on n’a fait qu’investir dans l’émotionnel en exhibant l’intimité et la douleur des gens, suscitant le voyeurisme et en tuant subtilement tout esprit critique. En témoignent ce que diffusent les chaînes télévisées en ce début du mois de Ramadan.
L’absence quasi totale d’intellectuels, notamment de critiques aptes à développer de « vrais sujets » et à intervenir avec objectivité sur la chose publique, est commune à tous nos médias.
Absents de tous débats, les critiques cèdent la place à tel ou tel chroniqueur qui se satisfait de l’effet d’immédiateté et émet larga manu des hypothèses sans fondements. En fait les frais l’éducation du goût public. Aujourd’hui que l’on est assuré de la volonté de l’Etat de préserver les médias de service public comme une locomotive pour tirer le débat vers le haut, il ne reste qu’à mettre du cœur à l’ouvrage. Journalisme et journalistes savent très bien ce qui leur reste à accomplir. Ils ont le devoir de dire la vérité aux lecteurs et auditeurs s’ils entendent être à la hauteur des jugements de l’histoire. L’Etat, quant à lui, est appelé à garantir la survie, la pluralité et les moyens de subsistance des médias publics, s’il entend jeter les fondements d’une nation développée.
Mettre un terme à la période de vaches maigres passe par une meilleure appréhension des contraintes posées. Et qui dit contraintes dit impératifs économiques, investissement dans le capital humain, amélioration des conditions de travail pour lutter contre l’ascendance du gain au détriment du contenu.
Assainissement et transition digitale, maîtres mots
Au plus haut sommet de l’Etat, on ne doit pas perdre de vue qu’une information de qualité requiert un niveau de financement approprié. C’est que les médias de service public doivent évoluer au rythme des géants commerciaux. Or, ils ne disposent pas des moyens financiers suffisants. En 2014, les revenus des cinq plus grandes entreprises des géants du Net ont été 3,5 fois plus élevés que le revenu global de tous les médias publics de l’Union européenne, selon des données officielles.
Cela montre l’écart de taille entre les acteurs et la faible marge de manœuvre qu’ont les médias de service public par les temps qui courent. S’y ajoute la suprématie du numérique qui favorise la recherche de trafic. Ce qui permet d’acquérir de la publicité et de collecter des données d’une grande valeur, si l’on parle «big data». Ces bouleversements majeurs touchant le domaine de l’information sont à prendre en considération si l’on veut vraiment écrire pour agir.