Accueil Culture Aux origines du musée Dar Chéraït à Tozeur : Collectionneurs par vocation ?

Aux origines du musée Dar Chéraït à Tozeur : Collectionneurs par vocation ?

 

• «Je vais m’employer à pallier les carences de l’Etat sur le marché mondial de l’art en organisant des expositions de peintres tunisiens».

Dans une autobiographie à paraître, Abderrazak Chéraït raconte comment Monica, son épouse, et lui-même, se sont précocement découvert une vocation de collectionneurs d’objets d’artisanat et d’œuvres d’arts ce qui leur vaut aujourd’hui d’être possesseurs d’un patrimoine de plus d’un millier d’objets plus précieux les uns que les autres, dont ils ont meublé leurs musées et sur lequel leur fils, Farès, a prélevé les pièces aujourd’hui exposées dans son espace Mooja, à l’occasion de la célébration de la Journée nationale du costume traditionnel et qu’il dédie au costume féminin.

«… dès que je me suis mis, en 1964, à percevoir un salaire régulier, qui se montait à 120 dinars, ce qui n’était pas peu à l’époque, nous nous sommes mis, Monica et moi, à écumer antiquaires et brocanteurs. C’est que nous avions été contaminés par le virus du chinage au contact d’une Haïtienne, médecin et épouse de l’un de nos amis. Avec elle, nous parcourions les puces de Tunis et banlieues: de véritables séances pédagogiques au cours desquelles cette passionnée d’objets anciens nous distillait son expertise et nous initiait à l’art du marchandage. Nous consacrions environ 10 dinars par mois (ce qui représentait tout de même près du quart du salaire d’un employé débutant) à l’achat de toiles, de bibelots et autres articles vestimentaires traditionnels ou objets d’artisanat. Il faut rappeler qu’à l’époque, toutes les «vieilleries» étaient à vendre à très bas prix ou à échanger contre des articles tape-à-l’œil que proposaient des colporteurs peu scrupuleux. Ainsi, un salon revêtu de similicuir (skaï) pouvait être échangé contre son homologue en bois ouvragé artisanal. L’«antîca», ce qui était démodé et qui allait des manuscrits aux décorations honorifiques beylicales en passant par les meubles, les habits de cérémonie et même les bijoux anciens en argent, était véritablement bradée. Ceux qui en ont le plus profité, c’étaient les «coopérants» qui touchaient des salaires cinq et même jusqu’à dix fois plus élevés que ceux de leurs homologues tunisiens. … Pareillement nantis, ils raflaient tout, des filles aux bibelots. Et c’est ainsi qu’on retrouve dans les vitrines des antiquaires parisiens pour des sommes astronomiques des décorations beylicales (horreur des « républicains » !) serties de diamants et acquises à vil prix. Une fois, au cours de mes déambulations du côté de la rue Zarkoun, à Tunis, je suis tombé sur un Delacroix pour lequel le brocanteur demandait 400 dinars, l’équivalent d’un peu plus d’un trimestre de mon travail, un peu moins de deux mois pour un « coopérant ». La mort dans l’âme, j’ai dû passer mon chemin.

Une boulimie patrimoniale

Nous étions, donc, Monica et moi, pris d’une véritable boulimie pour tout ce qui touchait au patrimoine traditionnel tunisien. Avec l’amélioration progressive de notre niveau de vie, et de proche en proche, le champ de notre intérêt s’est étendu pour englober la décoration, l’architecture, les métiers, les cultes et bien d’autres choses encore. Au début, nous avons rangé les objets dans notre intérieur. Puis nous nous sommes mis à les y entasser au point de ne plus pouvoir bouger. Nous en avons alors transféré la plus grande partie dans la maison paternelle à Tozeur laquelle, à son tour, a connu la saturation. Heureusement, nous disposions d’une remise non loin de là et nous l’avons transformée en entrepôt. Et c’est ainsi que, sans le savoir, nous avons progressivement constitué l’essentiel de la collection qui sera exposée dans les futurs musées ainsi que les éléments architectoniques qui entreront dans l’édification de ces espaces».

La grande injustice des marchés de l’art

A côté des très nombreuses d’œuvres des principaux maîtres de la peinture en Tunisie, le couple dispose d’une très belle collection de toiles de feu Adel Megdiche et de Abdejjabar Laâmari, tous deux « découverts » et promus par Abderrazak Chéraït. Il déclare aujourd’hui vouloir les faire connaître à la hauteur de leur talent et les faire accéder à la notoriété qui devrait être la leur, chacun dans son style propre, onirique et transcendant, pour le premier, et calligraphique innovant, pour le second. «Les œuvres de ces deux artistes pour des peintres majeurs, méconnus mais non moins estimables que ceux dont les toiles se vendent à des sommes faramineuses sur les marchés de l’art. C’est une grande injustice que nos plasticiens ne dépassent jamais un seuil modeste sur ces places simplement parce qu’ils ne sont pas connus à l’étranger. Je considère Adel Megdiche comme l’un des plus grands peintres de notre époque.

Et je vais m’employer à la mesure de mes modestes moyens à pallier les carences de l’Etat et je m’emploierai à élever leur cote sur le marché mondial en organisant des expositions qui leur seront dédiées à l’étranger, parallèlement à l’exposition «Tunseya» qui se produira en Europe et dans les pays du Golfe.

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