Accueil Economie Supplément Economique Regard d’expert | Skander SALLEMI, président de l’Association Tunisienne pour la Gouvernance Fiscale, à La Presse : «La bureaucratie et la corruption, des obstacles majeurs pour les PME tunisiennes»

Regard d’expert | Skander SALLEMI, président de l’Association Tunisienne pour la Gouvernance Fiscale, à La Presse : «La bureaucratie et la corruption, des obstacles majeurs pour les PME tunisiennes»

 

L’accès au financement continue de constituer un défi majeur pour les PME. Ces dernières ont souvent du mal à obtenir des prêts bancaires en raison d’une perception déficiente au niveau des institutions financières qui leur prêtent toujours une image entachée d’un manque de crédibilité ou de garanties insuffisantes.

Quel regard portez-vous sur l’environnement et le paysage des PME tunisiennes aujourd’hui ?

Il est indéniable de constater que les PME tunisiennes ont bénéficié de l’émergence de nouveaux secteurs économiques tels que ceux des technologies de l’information et de la communication, l’agroalimentaire, le tourisme, ou encore des énergies renouvelables. Ces secteurs ont connu un développement important et ont offert des opportunités pour les PME tunisiennes de se développer et de se diversifier. Mais, d’un autre côté, ces mêmes PME se trouvent confrontées à un environnement hostile voire menaçant dans certains cas. En effet, les pouvoirs publics censés être la locomotive du secteur économique national, surtout en période de crise, sont devenus un boulet entravant toute croissance. A titre d’exemple, il est inadmissible de comprendre les raisons de la réticence des acheteurs publics vis-à -vis des nouveaux acteurs ainsi que le retard excessif à honorer les engagements financiers de l’Etat à l’occasion de certains marchés. Ce dernier, supposé œuvrer pour le développement économique crée par lui-même une situation de vulnérabilité et de déliquescence de PME menaçant ainsi un pan entier de notre économie.

En deuxième lieu, il faut relever que la bureaucratie et la corruption sont également des obstacles majeurs pour les PME tunisiennes, car elles entravent la création d’entreprises et rendent quasi impossible l’obtention de certaines autorisations ou l’accès à certains marchés publics.

Le système fiscal n’est pas en reste. D’une année à l’autre, il devient de plus en plus instable et imprévisible. Les lois de finances ne cessent d’engendrer de nouvelles difficultés pour les PME avec des dispositions qui alourdissent leurs situations financières par l’augmentation et la multiplication des retenues et des charges fiscales. Ces dispositions fiscales, dont la motivation est principalement la recherche de l’équilibre budgétaire mécanique, pèsent lourdement sur la situation financière des PME par l’excès des retenues à la source à l’origine des crédits d’impôts que l’administration fiscale tarde à restituer. Cette situation qui s’apparente à des emprunts forcés auprès des PME contribue à leur déséquilibre financier.  L’absence de transparence des procédures de restitution de ces crédits d’impôt, conjuguée au non-respect des délais de restitution, hissent le palier des risques encourus par les PME à un niveau supérieur.

Sur un autre plan, l’accès au financement, continue de constituer lui aussi un défi majeur pour les PME. Ces dernières ont souvent du mal à obtenir des prêts bancaires en raison d’une perception déficiente au niveau des institutions financières qui leur prête toujours une image entachée d’un manque de crédibilité ou de garanties insuffisantes.

L’autre problème de taille pour ces mêmes PME reste la concurrence déloyale dont ils font l’objet puisque ces dernières évoluent dans un environnement marqué par les inégalités et subissent souvent des pratiques de concurrence déloyale de la part des grandes entreprises locales et étrangères. Ces pratiques continuent malheureusement à perdurer à cause du manque de contrôle et de surveillance et de l’absence de réglementations efficaces.

Quelle est votre perception de la situation des PME après les crises successives survenues : Covid-19, guerre en Ukraine, crise économique et financière en Tunisie ?

La situation des PME tunisiennes a été fortement impactée par les différentes crises successives auxquelles elles ont été confrontées, à savoir la pandémie du Covid-19, la guerre en Ukraine et la crise économique et financière en Tunisie. La pandémie du Covid-19 a eu un impact considérable sur l’économie tunisienne, avec une baisse de l’activité économique et une augmentation du taux de chômage. Les PME ont été particulièrement touchées, en raison des mesures de confinement qui ont entraîné une fermeture des entreprises et une baisse des échanges commerciaux.

Les PME opérant dans les secteurs du tourisme, de l’hôtellerie, de la restauration, ou encore de l’événementiel ont été particulièrement affectées. A son tour, l’augmentation des prix des matières premières, des fournitures et des services ont affecté les PME qui doivent, désormais, faire face à des coûts des facteurs de production plus élevés. En parallèle, les mesures de relance et d’appuis prévues n’étaient pas rendues accessibles à toutes les PME sinistrées. La guerre en Ukraine a également eu des répercussions sur l’économie tunisienne, en raison de la flambée des prix de certaines denrées et la diminution des échanges avec la Russie et l’Ukraine, qui sont des partenaires économiques importants de la Tunisie.

Enfin, la crise économique et financière en Tunisie a eu des conséquences sur la situation des PME, en raison notamment de la dépréciation de la monnaie, de l’augmentation des prix des matières premières et de la baisse de la demande intérieure. Toutefois, il convient de souligner que certaines des PME tunisiennes ont également fait preuve de résilience et ont su s’adapter à ces différentes crises, en mettant en place des stratégies de diversification, d’innovation et en adoptant des outils de digitalisation pour se maintenir en activité.

Il est souvent avancé que l’accès au crédit est le principal frein pour les dirigeants de PME. Qu’en pensez-vous?

Effectivement, l’accès au crédit est souvent considéré comme l’un des principaux freins pour les dirigeants de PME en Tunisie. Les PME ont souvent connu des difficultés à obtenir des financements auprès des banques, en particulier en raison de la difficulté à fournir des garanties suffisantes. Les banques sont souvent réticentes à vouloir prêter aux PME, considérées comme des clients plus risqués que les grandes entreprises. De plus, les taux d’intérêt pratiqués par les banques sont de plus en plus élevés, ce qui peut décourager les PME à emprunter. Les PME peuvent également rencontrer des difficultés pour obtenir des crédits à court terme pour financer leur cycle d’exploitation.

Ceci n’est pas sans impact sur la croissance et le développement des PME qui ont  du mal à financer les investissements nécessaires à leur développement, leur modernisation, et la diversification de leurs activités.

Cela a eu et continue à avoir des conséquences sur l’emploi, la compétitivité et la capacité des PME à contribuer à la croissance économique. Il convient également de noter que la situation économique et financière en Tunisie reste caractérisée par une forte inflation et une dévaluation de la monnaie locale, ce qui rend l’accès au crédit encore plus difficile pour les PME. Pour résoudre ces problèmes, il est nécessaire de mettre en place des mesures visant à faciliter l’accès au crédit pour les PME, notamment en fournissant des garanties publiques efficaces, en encourageant les banques à prêter aux PME, en mettant en place des mécanismes de financement à faible coût et en améliorant la formation et l’accompagnement des PME pour les aider à mieux comprendre les mécanismes de financement.

Quelles sont les actions qui doivent être  menées pour les PME en difficulté ?

Pour aider les PME en difficulté, il est nécessaire de mettre en place des mesures spécifiques pour les accompagner dans leur relance. Ci-après la piste de quelques actions qui peuvent être envisagées : d’un accompagnement et conseil, c’est-à-dire que les PME en difficulté ont souvent besoin d’un accompagnement et d’un conseil personnalisé pour les aider à identifier les causes de leurs difficultés, à élaborer un plan de redressement et à mettre en place des actions correctives.

Le rééchelonnement de la dette : les PME en difficulté ont besoin de mesures de rééchelonnement de leur dette qui leur permettent de les restructurer et d’étaler les remboursements sur une période adaptée à leurs capacités de paiement, ce qui peut améliorer leur trésorerie et leur permettre de mieux gérer leur stress financier.

La mise en place de garanties publiques accessibles et efficaces dont les PME peuvent également bénéficier et de garanties publiques à travers la Sotugar pour faciliter leur accès au crédit. Ces garanties permettent de réduire le risque pour les banques et peuvent les inciter à prêter aux PME en difficulté. La formation et l’assistance sont nécessaires d’où les PME ont besoin de programmes de formation et d’assistance pour les aider à mieux comprendre les mécanismes de financement, à élaborer des plans d’affaires solides, à mettre en place des systèmes de gestion efficaces et à améliorer leur compétitivité. L’accès à des fonds de soutien : les PME en difficulté peuvent également bénéficier d’un accès à des fonds de soutien qui leur permettent d’obtenir des financements à faible coût dans des délais raisonnables pour les aider à surmonter leurs difficultés et les orienter vers de nouvelles opportunités.

L’amélioration des garanties juridiques et fiscales : la situation des PME est souvent compliquée à cause de l’instabilité de l’environnement juridique et fiscal. Les nouvelles dispositions fiscales ne cessent de fragiliser la stabilité des PME. Elles ont pour origine une administration de plus en plus hostile. D’où la nécessité de mettre en place des garanties suffisantes et efficaces permettant aux PME de se protéger contre les abus de l’administration fiscale et douanière le plus souvent dus à une interprétation unilatérale et instable de la législation. Ces mesures peuvent être mises en œuvre par le gouvernement ainsi que par plusieurs autres parties prenantes telles que les institutions financières, les chambres de commerce et d’industrie et les organisations de soutien aux PME. Elles permettront à mon avis d’aider les PME à surmonter leurs difficultés et à leur permettre de retrouver une croissance durable.R

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