Accueil Economie Supplément Economique Dépréciation du dinar tunisien | Ridha GOUIA, économiste et Directeur d’APBS, à La Presse : « La réhabilitation est difficile»

Dépréciation du dinar tunisien | Ridha GOUIA, économiste et Directeur d’APBS, à La Presse : « La réhabilitation est difficile»

 

«Pour notre cas tunisien, les réserves de change dépendent principalement des recettes touristiques, des IDE, de l’épargne des Tunisiens à l’étranger transférée vers le pays, du solde de la balance commerciale et d’autres facteurs, ce qui rend la préservation des réserves de change (de 21,69 milliards de dinars au 13 avril) très aléatoire et problématique et peu dépendante de la politique monétaire».

Selon vous, quelle lecture faites-vous de la politique monétaire actuelle en Tunisie ?

Pour répondre à la question, nous devons saisir avant tout la mission principale de la politique monétaire dans un pays. Généralement, la mission de toute Banque centrale est la préservation de la stabilité des prix dans le pays.

Pour le cas de la Tunisie, nous remarquons justement que la BCT a pour mission générale, tel que stipulé par un certain nombre d’articles de la loi fixant ses structures, dont principalement l’article 33: de préserver la stabilité des prix. A cet effet, elle se trouve donc chargée de veiller sur la politique monétaire, de contrôler la circulation de la monnaie, de veiller au bon fonctionnement des systèmes de paiement et de superviser les établissements de crédit.

Durant les dernières années, nous remarquons que la BCT s’est appuyée, comme plusieurs pays d’ailleurs (tant développés qu’en voie de développement), sur l’augmentation du taux directeur pour juguler l’inflation. En effet, depuis la promulgation de la loi d’indépendance de la BCT en 2016, celle-ci a procédé, à plus de 8 occasions, (d’avril 2018 au mois de février 2019, à trois reprises d’un total de 2,75%) à une augmentation de son taux directeur afin de stopper l’inflation galopante dans le pays.

Mais cette politique monétaire très restrictive, basée surtout sur l’augmentation du taux directeur comme instrument de base, s’avère insuffisante compte tenu de la montée soutenue des prix (6,72% en 2019, prévu 11,3% pour cette année 2023, avec une hausse mensuelle de 0,7%). Autrement dit, le recours à l’instrument du taux directeur n’a eu que peu d’effet, comme c’est le cas dans plusieurs pays, bien qu’en pénalisant aussi bien les consommateurs que les investisseurs.

Il faut remarquer ici que la BCT s’est trouvée durant ces dernières années confrontée à plusieurs problèmes: assèchement du secteur bancaire en liquidités, sous-capitalisation des banques; tout cela dans une conjoncture économique marquée par une inflation due essentiellement à l’insuffisance de l’offre et l’affaiblissement continu des moteurs de la croissance économique (taux de croissance annuel moyen de moins de 2%, donc source d’inflation ), un renchérissement des coûts des importations (inflation importée, suite à la dépréciation du dinar et d’autres facteurs exogènes, telle la guerre d’Ukraine) et enfin de la difficulté de contrôler la masse monétaire en circulation (le secteur informel est estimé à plus de 40%). Ainsi, la limite de la politique monétaire dans le contrôle des prix est à notre avis expliquée par l’existence de nombre d’autres facteurs sources d’inflation.

Certes, il est clair que le rôle de la BCT dans le contrôle des prix doit être accompagné par nombre de mesures qui contribuent à les stabiliser.

Pour quelle raison la Banque centrale de Tunisie maintient le dinar à un niveau aussi bas ?   

Nous savons que l’économie tunisienne s’est orientée depuis les années 70 vers l’extérieur (loi d’avril 72, l’attraction des touristes, sources d’environ 9% du PIB, épargne de la diaspora tunisienne…). Maintenir alors un dinar tunisien à un niveau bas permettra d’améliorer le climat et l’attractivité des investissements directs étrangers, de pousser le secteur touristique à enregistrer des taux de remplissage élevés des hôtels et de réduire le volume des importations, donc agir sur le déficit de la balance commerciale du pays.

Mais il est à remarquer ici qu’une telle procédure, compte tenu de la dépendance de l’extérieur du système productif tunisien, est de nature à faire perdre le pouvoir d’achat des citoyens puisque l’importation des biens coûtera plus cher, ajoutée à cela la cherté du remboursement de la dette extérieure du pays. 

Pensez-vous que la politique actuelle  menée par le gouvernement va contribuer à préserver les réserves de change ?

Nous savons que le cadre de la politique monétaire est intimement lié au régime de change adopté et qui est classé pour la Tunisie par le FMI comme un régime de flottement dirigé où la BCT intervient d’une manière discrétionnaire à chaque fois qu’elle le juge nécessaire.

D’un autre côté, comme nous enseigne la théorie économique, les réserves de change, qui sont des avoirs en devises étrangères et en or détenues par la BC, peuvent permettre, entre autres, de stabiliser le taux de change qui est le prix de la monnaie (le dinar) exprimé dans une autre monnaie (dans notre cas, essentiellement, l’euro et le dollar américain et secondairement le yen). Pour notre cas tunisien, les réserves de change dépendent principalement des recettes touristiques, des IDE, de l’épargne des Tunisiens à l’étranger transférée vers le pays, du solde de la balance commerciale et d’autres facteurs, ce qui rend la préservation des réserves de change (de 21,69 milliards de dinars au 13 avril courant) très aléatoire et problématique et peu dépendante de la politique monétaire.

Est-ce possible de redonner de la vigueur au dinar tunisien dans une économie en crise ? 

Nous remarquons que le dinar tunisien continue de dégringoler ces derniers temps par rapport surtout au dollar et à l’euro, ce qui pose le problème du taux de change dont les incidences sont certaines sur la stabilité des prix, sur les échanges internationaux et sur la croissance économique. Cette dépréciation n’a pas connu un répit depuis le début des années 2010.

Actuellement, il atteint environ 3,37 pour un euro le 30 avril et 3,03 pour un dollar américain. Compte tenu de la conjoncture difficile en Tunisie et de la situation générale dans le monde (inflation généralisée, détérioration des pouvoirs d’achat des citoyens, stagnation des économies, chômage de plus en plus croissant…), dont dépend l’économie tunisienne, il nous semble que redonner de la vigueur au dinar tunisien reste difficile à court terme.

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