Tribune | Attention, un train peut en cacher un autre!

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Par Néjib Gaça *

«On sait que le mot homme signifie celui qui mesure» (F.Nietzsche in Humain trop humain)

Beït-Al-Hikma brille de mille feux et se distingue par  l’inscription de sa programmation dans l’air des temps qui courent. 

L’Académie tunisienne des sciences, des lettres et des arts, (Beit al-Hikma), a organisé, en partenariat avec le Centre d’études maghrébines à Tunis, (Cemat) et le Columbia Global Centers, une conférence  en langue anglaise, assurée par la Professeure émérite Lisa Anderson.

Cette conférence a eu pour thème : «Formation et gouvernance des États, au Moyen-orient et en Afrique du nord».

Lisa Anderson a été présidente de l’Université américaine du Caire pendant cinq ans, de 2011 à 2016, après en avoir été doyenne, entre 2008 et 2011. Elle a également été la doyenne de l’École des affaires internationales et publiques (School of International and Public Affairs), entre 1997 et 2007. Politologue, ses recherches portent sur la formation de l’État au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, sur les changements de régimes et la démocratisation des pays en développement. Elle travaille également sur les sciences sociales, la recherche universitaire et les politiques publiques dans le monde entier. Parmi ses livres, citons « Les États et les transformations sociales en Tunisie et en Libye, 1830-1980 ».

Relation entre gouvernants et gouvernés

La conférencière a abordé l’évolution de l’idée de l’Etat, depuis le XVIIe siècle, en Europe et au Moyen-Orient, en rapport avec le développement du concept de citoyenneté, dans le cadre des démocraties naissantes ou bien assises.

L’idée clé sur laquelle la conférencière a focalisé son argumentation est la nature de la relation entre gouvernants et gouvernés et son évolution de l’Etat au service du contribuable, à l’Etat gestionnaire de la chose publique, comme une affaire familiale.

Le concept d’Etat a connu une évolution qui va du soutien ethnique classique, inscrit dans un sectarisme qui marginalise une grande partie de la population, à une relation entre la famille royale, par exemple, au Moyen-Orient et des acteurs du secteur privé local ou étranger.

La gouvernance des affaires du pays a connu un changement total au niveau des prérogatives traditionnelles de l’Etat qui renie ses responsabilités les plus fondamentales: sa mise au service du peuple .

La conférencière a cité l’accord de Brême qui a été à la base de la communauté d’affaires, entre Israël, Bahreïn, les Émirats arabes unis et le Maroc.

Avec cette nouvelle approche, certains gouvernants vont jusqu’à proposer de remplacer les diplomates par des agents commerciaux de l’énergie du pays. 

Cet espace tout à fait nouveau a un effet contagieux sur les pays limitrophes où le devoir des gouvernants envers les citoyens est remplacé par la seule préoccupation de réussir à multiplier les affaires les plus juteuses.

L’ordre mondial encourage les pays à s’engager sur ce sentier du profit égoïste et le FMI est impliqué à fond dans cette Silicon Valley où ce qui importe le plus, la nouvelle technologie et son investissement dans la création des affaires à intérêt optimal.

Où en est-on de la conception de l’État,

après les indépendances ?

L’État était responsable de la «construction» du citoyen et le système éducatif en était l’outil.

Nous remarquons, à titre d’exemple, qu’au Maroc, le système éducatif versé dans le privé et le secteur étatique en a perdu toute sa crédibilité.

La logique des affaires en impose aux institutions de l’Etat et nous vivons la mise de l’Université au service des affaires, puisqu’elle ne se donne plus pour mission que sa mise au diapason de la demande du marché de l’emploi, loin, très loin de ses objectifs cardinaux : sculpter la personnalité de l’étudiant pour le préparer à la vie et l’armer pour la réussir en réussissant à en tirer le plus de bonheur et d’équilibre possibles.

D’aucuns vous diront qu’un Hugo n’est pas employable dans la société mercantile d’aujourd’hui.

Encore autant le sont Baudelaire et Shakespeare.

Il s’avère donc que la société humaine est en train de vivre une réelle métamorphose où l’humain, perçu à la lumière de la vision du monde traditionnelle, où l’éducation occupe la place prépondérante, n’est plus qu’une nouvelle cosmogonie où l’homme moissonne sur l’homme.

Cette conception du monde politique, véhiculée au rythme des hommes d’affaires voraces, pourra-t-elle continuer à faire les beaux jours des hommes d’affaires doublés d’hommes politiques, qui ont fini par se liguer contre les peuples, alors que le monopole occidental inique est mis en joue par les Brics et menace de rééquilibrer les relations internationales ?

Il est des événements historiques sans grande importance immédiate qui cachent si sournoisement le passage du train dans le sens opposé.

N.G.

(*) Journaliste 

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