L’actualité en Tunisie ne tourne pas au ralenti avec un lot d’évènements maussades qui ne font que brimer davantage l’humeur chagrine au quotidien dans un contexte tendu au cœur même d’un combat de reconquête des attributs de la souveraineté nationale. Un combat de « libération nationale » que prône le Chef de l’Etat avec des accents à la fois politiques, économiques et financiers.
En recevant vendredi 26 mai 2023 la Cheffe du gouvernement, Najla Bouden, et la ministre de la Justice, Leila Jaffel, le Président de la République, Kaïs Saïed, a appelé à poursuivre, « dans le respect de la loi », tous ceux qui ont porté atteinte à la nation et au peuple. Il a également insisté sur l’importance de « la neutralité de l’administration pour qu’elle ne soit un outil au service d’aucune partie ». Reprenant des propos du leader historique de l’Ugtt Farhat Hached, le Président a précisé que « le pouvoir et la souveraineté n’appartiennent pas à ceux qui prétendent représenter le peuple, alors que leur seul désir n’est autre que le pouvoir et son apparat factice ». Ce n’est pas une chasse aux sorcières mais un vrai combat de libération nationale de l’emprise des lobbies et des groupes de pression qui s’opère en Tunisie dans le cadre de la loi.
L’état est à court d’argent. On le sait. Mais l’argent coule à flots en Tunisie, il circule au grand jour et les signes de richesse sont visibles. On voit les plus grandes marques de voitures sillonner nos rues, des villas de maître sont construites le long des côtes et des plages les plus réputées. Mais c’est la nuit que les restaurants les plus huppés sont pris d’assaut. On y dépense à tour de bras. Le matin, c’est la misère qui réapparait. Les personnes les plus vulnérables se réveillent tôt pour gagner leur vie. Ce sont des femmes rurales qui, à la sueur de leur front, vont labourer, cueillir les olives et s’adonner aux tâches les plus dures. Les bus sont bondés d’ouvriers, d’employés et bientôt ils seront pleins à craquer d’élèves et d’étudiants de ces familles laborieuses qui ne savent plus à quel saint de se vouer pour assurer le gîte et le couvert. C’est une Tunisie à deux vitesses et à plusieurs paliers sociaux qui surfe sur les vagues de la pénurie des produits alimentaires de base, du manque de médicaments et de l’inflation galopante. Le contraste est flagrant, le paradoxe est saisissant.
Comment en est-on arrivé-là ? Il faudrait remonter à la dernière décennie du règne de Ben Ali où la mafia familiale a balisé la voie aux hommes d’affaires véreux pour entreprendre des « projets » sans valeur ajoutée pour le pays mais qui rapportent de l’or à tous ceux qui pillent le pays moyennant des « royalties » conséquentes et sans efforts aux membres rapprochés du clan Ben Ali. La Révolution a été une occasion en or pour ces « paravents » de se débarrasser de ces intermédiaires incontournables politiquement pour s’arroger les parts qui leur étaient dévolues. Car, sur le papier, tout semble être en règle, le consentement de l’administration étant imposé par les parrains de cette mafia benaliste. L’Etat de droit étant la nouvelle approche révolutionnaire, ces « hommes d’affaires voyous » ont non seulement usé de leurs passe-droits acquis sous Ben Ali mais pour protéger leurs intérêts et persévérer sur la même voie de pillage des biens du pays, se sont convertis en « hommes politiques et médiatiques ». Ils savent que le nerf de la guerre, c’est l’argent. C’est pourquoi ils ont investi le champ politique. Mais sans ce bras droit de la politique, que sont les médias, ils ont profité de la liberté retrouvée pour investir le paysage médiatique et mettre en œuvre leur projet éditorial basé sur la défense des intérêts politiques et par conséquent économiques. C’est le nivellement par le bas des médias par des contenus orientés sur les règlements de comptes, sur la diabolisation des adversaires économiques ou politiques. Et pour garantir que l’alchimie fonctionne à merveille, il fallait prendre d’assaut le temple du pouvoir législatif là où se mijotent à petit feu les textes de loi qui garantirait la pérennité de leur mainmise sur les rouages de l’administration. Dès lors, le mercato des partis politiques a vu le jour avec des chasseurs de têtes des figures politiques réputées pour leur opposition à Bourguiba ou à Ben Ali et crédibles aux yeux du citoyen lambda à cette époque. On a vu des « hommes d’affaires » acheter des fonds de commerce politique recruter des « leaders d’opinion », en chasser d’autres et donc gérer les partis politiques comme on gère des usines ou des fabriques. D’où la multiplication effarante du nombre de ces partis qui ont atteint une proportion incompatible avec la réalité démographique du pays, dépassant ainsi le seuil des trois cent partis. Profitant d’un Code électoral aux malformations multiples et d’une Constitution qui souffre de plusieurs verrous, l’accès à l’Hémicycle est devenu aisé et facile même aux contrebandiers et autres spéculateurs et voyous. On a vu comment les ministres qui voulaient défendre l’Etat et ses projets sociaux étaient laminés et roulés dans la farine devant les objectifs des caméras pourvu que les lois scélérates qui accordent aux Turcs ou aux Qataris et autres acteurs locaux des privilèges ostentatoires pour saigner à blanc le pays soient adoptées avec de larges scores.
Ce sont de telles lois et d’autres qui ont sapé l’autorité de l’Etat dans le champ économique et dépossédé l’administration de ses mécanismes de régulation et de protectionnisme, qui ont fait entrer le pays dans des zones de turbulences sociales.
Mais pour que ce scénario noir soit cousu de fil blanc, on a essayé de faire porter à l’Etat la responsabilité du chômage en triplant en quelques années ses effectifs par des recrutements massifs au-delà de ses besoins réels.
La richesse est pour les privés, le fardeau est pour l’Etat
Les chefs de gouvernement successifs, pris à la gorge par la majorité parlementaire à la solde du parti islamiste Ennahdha et principal refuge des « hommes d’affaires » en détresse, sont devenus de simples marionnettes dont les fils sont tirés à Mont-Plaisir. Pour approcher le parti islamiste et bénéficier de sa protection, il suffisait de délier la bourse et de montrer l’argent. En même temps, les nahdhaouis ont déroulé le tapis rouge aux prédicateurs pyromanes dont la mission était de recruter les jeunes pour les envoyer au jihad dans les foyers de tension à l’étranger ou commettre des attentats terroristes dans le pays et perpétrer des assassinats politiques.
C’est ainsi que plusieurs terroristes ont pu passer à travers les mailles de la justice et éviter procès et prison, alors que les hommes d’affaires véreux pouvaient continuer leur sinistre business aux dépens des Tunisiens.
Mais comment peut-il y avoir autant d’argent qui circule dans notre pays sans qu’il y ait une croissance, des emplois et de la prospérité pour tous ? Cet argent provient des circuits de la contrebande, de la spéculation, du trafic de stupéfiants et du commerce parallèle. Pour sa part, le circuit formel reste dominé par quelques familles depuis plus de soixante ans. Ces dernières familles de business-man usent de leurs appuis et de leurs fortunes amassées sur le dos de l’Etat pour barrer la route aux jeunes promoteurs incapables encore de répondre aux termes techniques et financiers des grands projets d’investissement. Ils sont démunis face à la férocité financière de ces familles qui détiennent plus de 40% de la fortune en Tunisie. Ainsi, les grandes marques de franchise, pour ne citer que cet exemple, sont totalement entre les mains de ces familles.
Un dernier sursaut
Depuis le 25 juillet 2021, le mouvement Ennahdha, dernier rempart de l’islamisme politique dans les pays arabes, est en train de s’écrouler. Les murs de son édifice ont commencé à se fissurer après dix années de règne en Tunisie où il a pu mettre son grappin sur les rouages de l’Etat tunisien et a mené le pays à la banqueroute, mais lâchant la bride à ses partisans pour saigner à blanc la trésorerie et s’enrichir sur le dos des citoyens. Le coup de semonce a été donné ce jour-là, quand le Président Kaïs Saïed a annoncé la dissolution de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et la prise en main de tout le pouvoir exécutif. Le locataire de Carthage avait promis ce jour-là d’assainir le pays. Un assainissement qui commence selon son projet politique, par la justice. D’ailleurs, il a décidé de dissoudre le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et de le remplacer par un autre provisoire. Mais pour lui, ce sont des dispositions exceptionnelles indispensables pour « concrétiser la volonté du peuple », « pourchasser les corrompus » et « rendre justice aux Tunisiens ». En tout cas, c’est le parti Ennahdha et ses satellites qui sont dans le viseur du Président de la République.
Un coup dur pour le parti qui déploie tout ou presque pour faire avorter le projet présidentiel et qui est allé jusqu’à mener une guerre médiatique contre Kaïs Saïed, l’accusant de haute trahison et de putsch contre la démocratie. Déjà, depuis l’élection du Président de la République, la tension était palpable entre lui et le mouvement Ennahdha.
D’ailleurs, le locataire de Carthage accuse implicitement le parti Ennahdha d’avoir conduit, depuis la Révolution, une décennie noire ayant considérablement nui aux Tunisiens, et à leurs droits. Plusieurs enquêtes et procédures judiciaires ont été ainsi entamées contre ce mouvement et ses responsables, dont notamment Rached Ghannouchi.
Ainsi, le comité de défense de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, assassinés en février et juillet 2013, a révélé au cours d’une conférence de presse tenue à Tunis « l’existence de données prouvant l’implication du président d’Ennahdha Rached Ghannouchi dans des affaires de blanchiment d’argent, d’intelligence avec des parties étrangères et d’espionnage sur des personnalités politiques et des responsables de l’Etat ».
Un legs lourd
Certes, la crise économique et sociale s’est exacerbée en Tunisie après le 25 juillet 2021. Tous les indicateurs convergent. Le gouvernement Bouden n’est pas en bonne posture. Dégradation des notations de la Tunisie par les agences de notation. Les moteurs de l’économie qui calent, le pouvoir d’achat qui s’érode. Un tableau peu reluisant qui a encouragé Ennahdha, le principal mur porteur de l’opposition islamiste, à pousser les Tunisiens dans la rue pour s’entretuer en vue de retrouver le chemin du pouvoir non par les urnes mais par la force. Sauf que cela n’est que vaine tentative car les Tunisiens ne sont pas dupes et ont décidé de rompre avec le passé sous toutes ses formes. Ils savent qui cherche à préserver la souveraineté financière de l’Etat que les islamistes ont pillé et qui se frotte les mains en voyant les caisses du pays vides. C’est d’ailleurs dans cette optique que les enquêtes contre les forces du mal ont permis de démanteler plusieurs réseaux terroristes, d’autres de blanchiment d’argent ou de comploteurs contre la sûreté de l’Etat ont abouti à des arrestations d’hommes politiques et de leurs bras armés médiatiques.
Assainir l’administration
Dans son audience accordée à la Cheffe du gouvernement et à la ministre de la Justice, le Chef de l’Etat a également insisté sur l’importance de « la neutralité de l’administration pour qu’elle ne soit un outil au service d’aucune partie ». En effet, ce sont des hauts commis de l’Etat qui, au lieu d’être les premiers sur la ligne de front pour redresser les situations, dénouer les crises et trouver les solutions, agissent à des fins politiques et partisanes déclarées ou cachées pour ébranler le prestige de l’Etat en montrant que rien ne va, quitte à sévir avec cynisme et faire souffrir les citoyens. Certes, le pluralisme accorde le droit à tous les citoyens d’appartenir à des partis politiques, mais il n’est pas acceptable que des hauts commis de l’Etat usent de leur autorité à mauvais escient et fassent l’amalgame entre une casquette politique et celle de la fonction. L’on s’est longtemps demandé sur le décalage du discours entre les membres du gouvernement qui se saignent aux quatre veines pour maintenir à flot des administrations pour assurer la continuité d’un service public sur le point de craquer et sur la défaillance des structures en charge des affaires courantes des services publics qui tournent au ralenti et font voler en éclats tous les efforts consentis pour assurer aux citoyens leurs besoins quotidiens.
D’autres font fuiter de fausses information, divulguent des secrets professionnels ou font de la rétention de l’information une arme pour ternir l’image de l’Etat. Il est inadmissible que ces responsables qui ont accepté la mission de servir l’Etat détournent la vocation de leurs fonctions à des fins d’opposition politique au sein des administrations.
Reconquête des attributs de la souveraineté
Partant du constat que des abandons de souveraineté au profit des puissances étrangères, des bailleurs de fonds et des agences de notation ont été effectués au cours des décennies qui ont suivi l’indépendance du pays, le cap de Saïed, c’est de conserver la maîtrise du destin du pays.
C’est ainsi que les multiples ingérences dans les affaires internes de la Tunisie, de la dépendance des marchés extérieurs font l’objet d’une riposte forte et à une fin de non-recevoir. Aussi, est-il plus que jamais temps de remettre les pendules à l’heure et de rappeler que ces ingérences qui visent à brader la souveraineté nationale moyennant des aides, des dons ou des prêts sont des armes d’une époque révolue qui n’ont plus de place en Tunisie.
Cette reconquête des attributs de cette souveraineté passe désormais par la réhabilitation de l’autorité de l’Etat, de la lutte contre la spéculation, la contrebande, l’extrémisme et de l’allégeance à l’étranger.
Certes, cette attitude patriotique dérange plus d’un et les pressions s’accentuent de jour en jour en vue de faire plier l’Etat tunisien fragilisé par un manque de ressources financières et englué dans une crise socioéconomique sans fin. Notre pays, qui demeure l’un des rares pays arabes à opposer un refus catégorique à la normalisation avec l’Etat sioniste et à ne pas s’enrôler tête basse dans les Accords d’Abraham, subit les foudres des protagonistes d’un nouvel ordre mondial injuste, discriminatoire et inhumain.
Mais la maîtrise du destin de notre pays restera entre les mains de ses enfants qui ne sont pas prêts à troquer leur souveraineté nationale contre la peur de la précarisation et la vulnérabilité.
C’est le meilleur hommage qu’on puisse adresser à ceux dont le sang a coulé pour libérer la patrie du joug du colonialisme.
Dr. E. Moudoud
28/05/2023 à 19:14
RIEN À AJOUTER…TOUT EST DIT…ET SI BRILLAMMENT …MERCI SI CHOKRI.
Mamoun Ben Cheikh
29/05/2023 à 05:02
Bravo, une analyse très soignée digne d’un temps révolu où la lutte des classes était le moteur de la politique