Accueil A la une Sécurité alimentaire: A-t-on tiré les leçons des crises mondiales ?

Sécurité alimentaire: A-t-on tiré les leçons des crises mondiales ?

Une banque de semences mondiale contient, aujourd’hui, plus d’un million d’échantillons de graines. Des institutions du Brésil, des Etats-Unis, d’Allemagne, du Maroc, du Mali, de Syrie ou encore de Mongolie y ont déposé les leurs. La Tunisie est, quant à elle, aux abonnés absents ! Agir ou périr, telle est la morale de l’histoire.

La pandémie mondiale du Coronavirus, l’enlisement dans les limbes de l’angoisse et la mobilité réduite des hommes, l’offensive russe en Ukraine et ses conséquences directes sur la sécurité alimentaire mondiale et la perpétuelle pénurie de plusieurs produits alimentaires chez nous exigent de repenser nos stratégies- si stratégies il y a- pour le développement du secteur agricole.

Dans un contexte international mouvant où l’on est exposé à mille et une menaces, les questions que l’on peut se poser et se reposer seraient du genre : Qu’en est-il de notre sécurité alimentaire dans un monde en pleine ébullition ? Qu’a-t-on fait pour notre autosuffisance en produits céréaliers face à cette flambée vertigineuse des prix internationaux ? Quelles leçons aurait-on tiré des récentes crises mondiales et des bouleversements géopolitiques majeurs secouant le monde qui nous entoure ? Pratiquement, que nenni !

Volatilité durable

Aujourd’hui, qui dit sécurité alimentaire dit céréales, du fait de la guerre en Ukraine, mais aussi de notre incapacité à assurer notre autosuffisance en la matière là où les prix connaissent une croissance accrue sur le plan international. En mars dernier, l’Indice FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) des prix des céréales a enregistré une hausse de 17,1 % par rapport à février, sous l’effet de fortes hausses des prix du blé et de toutes les céréales secondaires, lesquelles hausses sont principalement dues à la guerre en Ukraine. La Fédération de Russie et l’Ukraine, à elles deux, représentaient environ 30 % des exportations mondiales de blé et 20 % des exportations mondiales de maïs, ces trois dernières années. Les prix mondiaux du blé ont grimpé de 19,7 % et des craintes relatives aux conditions de culture aux États-Unis d’Amérique ont accentué la hausse.

Le cas tunisien dans tout cela

En 2022, le total des importations tunisiennes en céréales a atteint des niveaux record, soit 900 millions de dollars (près de 3 milliards de dinars), selon l’Office des céréales.

Pour la campagne 2020/2021, les mêmes besoins avaient atteint environ 3,8 millions de tonnes, soit environ 20% de plus que les importations de la campagne précédente et 5% de plus que la moyenne du précédent quinquennat, selon le Système mondial d’information et d’alerte rapide (Smiar) sur la sécurité alimentaire et l’agriculture de la FAO.

La production céréalière, durant ces vingt dernières années (à l’exception de 2003), n’est donc pas parvenue à assurer l’autosuffisance ni en blé dur ni en blé tendre.

Toujours est-il que les besoins en stockage pour l’ensemble des céréales (alimentation humaine et animale) sont estimés à 3,3 millions de tonnes, y compris un stock stratégique pour une durée de 3 mois. Or, les besoins actuellement couvert se situent à moins de 70%, malgré une exploitation optimale des facilités existantes de l’Office des céréales (33%), des deux sociétés coopératives (32%) et des opérateurs privés (35%).

Stratégies à tire-larigot mais l’inefficacité continue

Des stratégies visant l’amélioration de la production céréalière en Tunisie, on en a parlé à tire-larigot, ces dernières années. Pour la période 2010-2014, l’objectif était d’atteindre une production de 2,7 millions de tonnes à l’horizon 2014. Ce qui devait se traduire par une autosuffisance de 100% en blé dur et de 30% en blé tendre, soit un taux combiné de 65% pour les deux catégories de blé. Par rapport à la moyenne sur la période 2006-2010, la dépendance aux importations devait être réduite à un niveau de 35%.L’on parlait également d’interventions à court terme (2012-2013). Ces interventions visaient le renforcement des capacités et des dotations budgétaires de l’Institut national des grandes cultures (Ingc) et de l’Office de l’élevage et de pâturage (OEP). L’Ingc intervient spécifiquement dans l’utilisation des semences améliorées pour des variétés à hauts rendements, dans la gestion de la fertilisation, la santé des cultures, l’irrigation d’appoint et la diversification des assolements à travers 16 exploitations expérimentales et pédagogiques.

Une stratégie à moyen et à long terme (2011-2030) a également été élaborée. Mais la période de vaches maigres ne fait que trop durer.

Constat amer

Pour un secteur vital comme celui de l’agriculture — faut-il encore rappeler qu’il y va de notre survie — le constat est on ne peut plus amer. D’abord, le secteur agricole tunisien est encore à potentiel non réalisé. Ensuite, la plupart des terres domaniales sont inexploitées, les puits ne sont toujours pas suffisamment électrifiés, surtout dans les régions du centre. Enfin, l’encadrement des agriculteurs est en deçà du niveau escompté. Se prémunir contre les aléas d’un monde en pleine ébullition et à l’avenir incertain exige, au demeurant, de garantir sa sécurité alimentaire. Car il n’est point de souveraineté nationale dès lors que l’on continue à mendier son pain quotidien.

Le pays a les moyens de ses ambitions

En matière de sécurité alimentaire, la Tunisie a les moyens de ses ambitions. Sauf que les hommes s’attribuent souvent un répit dont ils ignorent la dangerosité. En attestent les 45 mille ha de terres domaniales toujours inexploités ou — dans le meilleur des cas — sous-exploités. Même le programme d’exploitation de ces terres, lancé en mars 2018 par le gouvernement de l’époque est resté lettre morte.

Ce programme de 100 millions de dinars d’investissements visait la création de sociétés d’exploitation et de développement agricole dans 40 fermes. Le projet concerne, en effet, 11 gouvernorats et 26 délégations et couvre une superficie totale de 24.000 ha. S’y ajoutent 10 mille ha répartis sur 14 délégations pour 18 fermes, s’agissant des terres domaniales destinées à l’exploitation par les unités coopératives de production agricole, selon l’Office des terres domaniales. Sur les raisons d’un tel dysfonctionnement, le directeur régional des Domaines de l’Etat, Mohamed Hzami, a alors mis en cause des lois caduques et une situation politique et sociale peu propice à l’amendement desdites lois. «On a besoin de nouvelles lois adaptées à la situation politique, économique et sociale de la Tunisie nouvelle. Il faut plutôt miser sur la compétence, l’aptitude technique et le savoir-faire. Souvent, des jeunes déterminés, bien formés et capables de mener des stratégies à court et à long terme, peinent à répondre aux différentes offres (sous forme de contrats de location), handicapés par leur situation financière», a-t-il décelé.

Se prémunir contre les aléas et penser l’avenir

Il est une évidence : l’État doit se comporter en bon père de famille tout autant qu’il est appelé à façonner l’environnement dans lequel il évolue. Autrement dit, il doit gérer le présent et penser l’avenir. Et penser l’avenir pour ce qui est de la sécurité alimentaire d’une nation c’est plutôt planifier ses actions en tenant compte des remous qui secouent le monde de nos jours. Un monde qui n’est plus à l’abri de grandes vagues de famine.

Plusieurs nations ont bien retenu les leçons suite à la pandémie et la guerre Russie-Ukraine, notamment l’impératif qu’il y a à assurer sa sécurité alimentaire, à préserver les ressources génétiques de ses cultures. La réserve mondiale de semences du Svalbard, précieuse «Arche de Noé végétale», située à mi-chemin entre la Norvège continentale et le Pôle nord, connaît, en effet, une affluence accrue ces derniers temps, selon certains médias internationaux.

Plusieurs pays du monde, avertis et moins avertis, y accèdent progressivement pour déposer leurs semences et mettre à l’abri des conflits et des catastrophes naturelles, la diversité génétique.

Cette banque de semences mondiale contient, aujourd’hui, plus d’un million d’échantillons de graines. Des institutions du Brésil, des Etats-Unis, d’Allemagne, du Maroc, du Mali, de Syrie ou encore de Mongolie y ont déposé les leurs. La Tunisie est, quant à elle, aux abonnés absents ! Agir ou périr, telle est la morale de l’histoire.

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