Le départ des compétences nationales est motivé par plusieurs facteurs, en l’occurrence le chômage, la modestie des salaires perçus, la détérioration des conditions de vie, la lourdeur administrative et le déficit de transparence affectant la majorité des services publics. Ceux qui viennent en Tunisie, après des périples aussi divers que compliqués, fuient les crises politiques et économiques, les guerres civiles qui sont légion en Afrique, l’oppression, la pauvreté et la grande misère.
Qu’ont en commun les départs massifs des nationaux vers l’Europe à partir de nos contrées et l’affluence continue des Subsahariens en direction de la Tunisie ? Ces histoires ont un même fil conducteur. Qu’il s’agisse d’installation ou de transit, la planète est en permanence irriguée par de nouveaux flux. D’ailleurs, chaque année plus de 200 millions de personnes quittent leurs pays, soit 3% de la population mondiale. Ces hommes, ces femmes et enfants fuient les conflits, les persécutions et partent à la quête d’une vie meilleure. La Tunisie ne fait pas l’exception. Il y a donc les migrations qui partent des régions pauvres du globe, celles qui se heurtent à la Méditerranée et celles qui jalonnent le continent noir, y compris la Tunisie où se croisent Maliens, Sénégalais, Camerounais, Congolais et autres. Leurs motivations économiques, sécuritaires ou culturelles versent dans un seul sens. Puisque désormais «le mouvement, c’est la vie».
Les partants…..
En Tunisie, cela fait des années que l’on vit un paradoxe vivant : il y a ceux qui partent et ceux qui arrivent. Sauf que les partants sont majoritairement des Tunisiens qualifiés, alors que les arrivants sont, le plus souvent, des candidats à l’exil, des réfugiés transitant via la bande sahélo-sahéliennes et la Tunisie en quête de conditions de vie décentes.
Pour la première catégorie des migrants, notamment les Tunisiens qualifiés partis à l’étranger, les statistiques avancées en 2020 font état de 902.300 partants, toutes catégories confondues, soit 7,65% de la population. Une évolution rapide des différentes catégories qualifiées est ainsi observée. D’après les dernières statistiques, les cadres se chiffrent à 13.670 en 2016, à 13.951 en 2017 et à 14.232 en 2018. Les ingénieurs : 3.162 en 2016, 3.258 en 2017, 3.354 en 2018. Les informaticiens : 450 en 2018. Les médecins : 630 en 2018, 900 en 2019, 2.700 en 2022. Et les enseignants-chercheurs : 2.300 en 2018, 4.000 en 2019.
Les dernières statistiques de l’Ordre des ingénieurs tunisiens font état de «100.000 cadres ayant quitté le pays entre 2011 et 2017 contre 64.000 avant 2011. Le mouvement migratoire s’est accéléré depuis en faveur de l’Allemagne et de la France essentiellement».
Le départ de ces compétences nationales est motivé par plusieurs facteurs, en l’occurrence le chômage, la modestie des salaires perçus, la détérioration des conditions de vie, la lourdeur administrative, et le déficit de transparence affectant la majorité des services publics.
Mourad Khelifi, fraîchement diplômé en finance, est sur le point de partir pour le Canada. Pour lui, la Tunisie n’est plus ce pays où il fait bon vivre avec ses lois caduques, son administration désuète et son économie morose. «J’ai pris la décision de partir après des années de réflexion. Notre pays sape tout espoir de pouvoir un jour voler de ses propres ailes et s’épanouir. Nos lois sont caduques, notre administration est corrompue et très en retard par rapport aux pays avancés et nos universités sont mal cotées sur le plan international. Dans ce cas de figure, il vaut mieux partir que rester», insiste-t-il.
Ceux qui arrivent…
Ceux qui viennent en Tunisie, après des périples aussi divers que compliqués, fuient les crises politiques et économiques, les guerres civiles qui sont légion en Afrique, l’oppression, la pauvreté et la grande misère.
L’on parle ici de flux migratoires intra-africains. D’ailleurs, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), 246.183 départs ont été observés en 2018 à l’intérieur de l’Afrique du Nord, plus de 1 million de l’Afrique du Nord vers le reste du continent et 658.540 du reste de l’Afrique vers cette zone.
Abondant dans le même sens, le dernier rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) démontre que les migrants africains vont majoritairement en Afrique. D’autant qu’en 2015, date des dernières statistiques, ils vivaient en dehors de leurs pays d’origine, mais presque 75% de ceux-ci étaient restés à l’intérieur de leur continent. Cependant, les schémas de ces migrations représentent des caractéristiques et des profils très différents.
Selon des rapports de la presse internationale, l’âge moyen des migrants africains était de 29 ans. Tout comme au Burkina Faso, au Nigeria ou en Ouganda, en Tunisie, une grande partie des migrants subsahariens ont entre 15 et 34 ans, les femmes sont généralement plus jeunes et les hommes plus nombreux (entre 60 et 80%).
Ces mêmes migrants, majoritairement clandestins, ont un niveau d’éducation très modeste et travaillent dans la maçonnerie et les grands chantiers pour ce qui est des hommes. Alors que les femmes accomplissent des tâches ménagères ou encore commercialisent des produits artisanaux.
Mireille Nguessa, Malienne âgée de 28 ans, femme de ménage à Sousse. Cela fait près de 4 ans qu’elle est en Tunisie. Elle dit avoir transité en compagnie d’un groupe de Subsahariens par la Libye, en espérant joindre l’Europe. Heurtée à plusieurs difficultés, elle a fini par s’installer dans la ville côtière tunisienne qu’elle a trouvée «agréable à vivre».
«Je ne pensais jamais m’installer en Tunisie. En débarquant ici, après une traversée très dangereuse, mon objectif ultime était de continuer ma traversée vers l’Italie. Mais Dieu et la réalité du terrain en ont voulu autrement. J’ai échoué plusieurs fois à traverser la mer. C’est pourquoi j’ai renoncé à mon projet migratoire pour ainsi m’installer ici. Je ne regrette pas mon choix», reconnaît-elle. Un message d’espoir malgré tout.