Par Mohamed KOUKA
De ma vie, je n’ai jamais vu autant de monde garnir, que dire, remplir les gradins du théâtre romain de Carthage et même déborder la colline environnante, que lors de cette fameuse soirée où fut donné El Mahfel, le spectacle d’ouverture du Festival international de Carthage. Le nom de Fadhel Jaziri, et à juste titre, est pour beaucoup dans cet engouement. Son parcours épique, son apport intellectuel, esthétique au théâtre, à la musique, bref au travail culturel en général durant presque un demi-siècle, est remarquable. Afin d’illustrer mon propos, j’emprunte à la culture universelle ces références. Les spectacles de Fadhel Jaziri m’ont toujours fait penser à ces divinités de la culture grecque : Dionysos et Apollon..D’un côté, l’exubérance, la frénésie, la générosité sans frontières, de l’autre, la maîtrise du propos, une gaité lucide, une joie subtilement ironique.
Les philologues ont découvert qu’Archiloque introduisit la chanson populaire dans la littérature grecque et que telle est la raison de la place unique que les Grecs lui réservent à côté d’Homère. Mais qu’est-ce qui distingue la chanson populaire de l’épopée pleinement apollinienne ? Le fait qu’elle constitue un monument durable de l’union de l’apollinien et du dionysiaque. Son immense diffusion, qui s’observe chez tous les peuples et que de nouvelles créations viennent enrichir, prouve la puissance de la double impulsion qui, dans la nature, aspire à réaliser sous forme d’art, celle qui laisse sa trace dans la chanson populaire et celle qui, d’une manière analogue, perpétue les mouvements orgiaques d’un peuple dans sa musique. Sans doute pourrait-on démontrer historiquement que toute époque féconde en chansons populaires a été secouée par le courant dionysiaque. Nous devons toujours considérer celui-ci comme la source et la condition de la chanson populaire
Face à l’entreprise spectaculaire de Fadhel Jaziri se pose la question de la critique. Il s’agit bien de critique d’art bien évidemment. Ce qui implique une critique capable d’avoir, puis de transcrire, un regard à la fois sensible, pourquoi pas passionné et technique en même temps. Grâce à des connaissances poussées, le critique peut rapidement cerner sa matière et prendre le recul nécessaire évitant de colporter de fausses informations. Critiquer signifie analyser, soumettre à un examen l’objet pour en faire ressortir les éléments positifs et négatifs, c’est-à-dire qu’il ne présage pas de la conclusion favorable ou défavorable.
La critique d’art est une instance de régulation non régulée malheureusement, ce qui pose problème, alors qu’il existe des écoles supérieures de formation (arts plastiques, art dramatiques, cinéma, etc.), il n’existe aucune école de la critique. Pourtant, la question de la compétence et de la qualification se pose. D’où parlent ceux qui s’autorisent à porter des jugements sur les productions artistiques. Qui sont-ils pour s’autoriser à émettre des jugements publics sur un travail si complexe. Il serait indécent que le premier plumitif venu s’érige en contempteur, en censeur d’une entreprise, décidant du destin d’une œuvre collective si ardue, mais si passionnante.
M.K.