« C’est un pas dans le bon sens, voire un saut qualitatif. La Tunisie a tout à gagner en consolidant ses relations avec de nouveaux partenaires dans un monde de plus en plus globalisé, clivé et dominé par des pôles économiques puissants. Il est vrai qu’on a un partenaire classique qui s’appelle l’Union européenne, mais nous devons ouvrir de nouveaux horizons afin de mieux négocier et défendre nos intérêts nationaux », explique l’universitaire Abdelmajid Abdelli.
Le sommet Russie-Afrique, dédié au renforcement des partenariats avec le continent noir, s’ouvre aujourd’hui, à Saint-Pétersbourg, en Russie. Deuxième du genre après un premier rendez-vous en 2019 à Sotchi. La Tunisie sera représentée par le ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar.
Cette rencontre au sommet voulue par le maître des lieux, Vladimir Poutine, ambitionne de consolider les relations russo-africaines dans les domaines politique, sécuritaire, économique, scientifique et culturel. Rien de moins !
Force est de constater à ce stade que le volume des échanges économiques russo-africains s’établit annuellement entre 1 et 2 milliards de dollars, selon des statistiques officielles russes. Ainsi, entre 2012 et 2021, le solde du commerce russe avec l’Afrique était positif pour la Russie, s’élevant à 92 milliards de dollars, selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm.
Dans la même perspective, entre 2018 et 2022, la Russie a détrôné la Chine pour devenir le premier exportateur d’armes en Afrique subsaharienne, passant de 21 % à 26 % de parts de marché, d’après la même source. Pour ce qui est de l’enseignement supérieur, il y a aujourd’hui 35 000 étudiants africains en Russie, soit 3,5 fois plus qu’il y a 10 ans.
La Tunisie a intérêt à ouvrir de nouveaux horizons
Ne cachant pas sa satisfaction de la participation tunisienne au Sommet, le spécialiste des relations internationales, Abdelmajid Abdelli joint par La Presse, se félicite de ce grand pas fait par la Tunisie dans le sens de la diversification des partenaires internationaux.
« C’est un pas dans le bon sens, voire un saut qualitatif. La Tunisie a tout à gagner en consolidant ses relations avec de nouveaux partenaires dans un monde de plus en plus globalisé, clivé et dominé par des pôles économiques puissants. Il est vrai qu’on a un partenaire classique qui s’appelle l’Union européenne, mais nous devons ouvrir de nouveaux horizons pour mieux négocier et défendre nos intérêts nationaux », explique l’universitaire.
À la question de savoir comment la Tunisie peut tirer profit d’un partenariat avec une Russie qui mise beaucoup sur l’exportation des armes vers le continent africain pour doper ses recettes, le géopoliticien met en avant l’importance de l’influence russe aujourd’hui.
« Dans ses relations avec le reste du monde, surtout les pays en voie de développement, la Russie mise sur la vente d’armes qui a toujours constitué un axe majeur. D’ailleurs, à l’exception des avions de combat, des missiles ou des chars d’assaut, on ne voit pas de produits russes circuler dans les marchés africains.
Reste à dire que la Russie appartient au groupe des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) qui se veut un grand pôle économique, en mesure de rivaliser avec les économies occidentales les plus performantes. Quand on apprend que la Chine sera la première puissance mondiale d’ici 2030, on ne peut que saluer les orientations de la politique étrangère tunisienne », certifie l’analyste.
Mieux comprendre le nouvel ordre mondial
L’on s’achemine tout droit vers un nouvel ordre mondial, de l’avis de plusieurs observateurs. D’ailleurs, l’Afrique notamment francophone n’est plus une chasse gardée de la France. Devenu un véritable enjeu dans la compétition économique mondiale, le continent africain, représente un marché en pleine croissance et abrite de nombreuses ressources naturelles stratégiques.
Certains chercheurs, dont le géopoliticien François Heisbourg, parlent même d’un nouveau « partage de l’Afrique » et d’une prédation des grandes puissances.
En 2019, la France s’est classée deuxième en termes d’exportations vers l’Afrique, avec 29,4 milliards de dollars d’exportations. La Chine s’est, quant à elle, propulsée loin devant, avec 111 milliards de dollars d’exportations, selon l’Institut de recherche sur la paix de Stockholm.
Même si la Russie ne figure pas dans les cinq premiers pays exportateurs en Afrique, sa présence commerciale repose non seulement sur les exportations d’armes, mais aussi sur l’exploitation de nombreuses matières premières, telles que le manganèse au Gabon ou en Afrique du Sud, les diamants en Angola et en République centrafricaine, ou encore l’uranium en Tanzanie.
Si les pays africains peuvent bénéficier de cet engouement du maître du Kremlin pour l’Afrique, isolé sur la scène internationale, la Tunisie devra user de ce Sommet comme d’un tremplin de communication, pour se placer, le temps de deux jours, sur le devant de la scène internationale, et consolider ses liens avec de nouveaux alliés.