« Il y a des groupes et des personnes qui cherchent des rentes et qui s’emploient à protéger, autant que faire se peut, leurs intérêts. Ce que nous vivons aujourd’hui est donc lié à ces barrières qu’on met à l’entrée de tous les secteurs. Tout est lié. Les problèmes auxquels est exposé le pays sont le résultat de ce modèle de développement qui octroie des avantages à certains groupes qui font la pluie et le beau temps dans tous les domaines d’activité ou presque ».
Les récentes déclarations du président démissionnaire de la Chambre des producteurs de caoutchouc, Montassar Dridi, sur les ondes d’une radio privée, fustigeant la mainmise du président de l’Utica, Samir Majoul, et de ses vice-présidents sur l’organisation patronale, ont défrayé la chronique.
Rappelant que le mandat du conseil actuel de l’Utica avait expiré en janvier, Dridi dénonce des pratiques claniques sur fond de guerre de succession. Il ajoute dans cette déclaration explosive que les trois dirigeants ont monté un scénario de toutes pièces en vue de léguer l’organisation patronale à leurs descendants, dès lors qu’ils ont échoué à réviser le règlement de la Centrale patronale pour s’y maintenir. « Chacun a ramené son fils ou son neveu pour le préparer à la succession de l’organisation », a-t-il tancé.
Il a, de surcroît, fait savoir que les autres présidents des chambres patronales se gardent bien de tout commentaire contre la direction de l’Utica, « car chacun a un dossier », et risquerait d’en pâtir s’il se mettait à parler, accuse-t-il.
Au sujet de cette bombe lâchée en pleine rentrée politique, nous n’avons pu obtenir la version du patronat, en raison de l’indisponibilité, nous dit-on, des membres du bureau exécutif. Les seuls habilités à faire des déclarations à la presse. Ils seraient tous en mission, selon une source interne.
Des positions d’entente, de monopoles
Le président de la Chambre des producteurs de caoutchouc, qui avait présenté sa démission, aurait ainsi mis à nu certaines pratiques. Et c’est là que le bât blesse, compte tenu de la place qu’occupe l’Utica dans le tissu économico-politique national.
Les déclarations de Dridi interviennent, de plus, dans une conjoncture extrêmement difficile dans laquelle tous les indicateurs économiques et sociaux sont au rouge. De crise en crise, la machine de production est au ralenti dans une économie qualifiée, en outre, par des observateurs, de rente, dominée par « quelques familles ».
En attestent les rapports des ONG et les constats de certains diplomates accrédités à Tunis. A ce titre, les déclarations de l’ancien ambassadeur de l’Union européenne en Tunisie, Patrice Bergamini (septembre 2016-juillet 2020), au sujet du système économique tunisien, ont fait date. Analysant les difficultés auxquelles faisait face l’économie tunisienne, il a brossé un tableau sombre. Ainsi, disait-il : «… Si l’on doit aider la transition économique, la forcer, la pousser, c’est parce qu’il y a des positions d’entente, de monopoles. Certains groupes familiaux n’ont pas intérêt à ce que de jeunes opérateurs tunisiens s’expriment et percent », a-t-il dénoncé, avant de quitter la Tunisie sans être décoré.
Des barrières de contrôle à l’entrée des secteurs d’activité
Dans ce même ordre d’idée l’économiste Fatma Marrakchi, jointe par La Presse, met en garde, en effet, contre une économie protégée qui sert les intérêts de certains groupes qui imposent leur loi sur le marché. Elle fait remarquer que le déficit budgétaire dont souffre le pays est la résultante de cette économie de rente. « Depuis très longtemps, nous ne sommes pas parvenus à changer ce modèle de développement que je ne qualifierai pas d’économie de rente. Car l’appellation ne figure pas dans le jargon des sciences économiques. Je dirais plutôt qu’il y a des groupes et des personnes qui cherchent des rentes et s’emploient à protéger, autant que faire se peut, leurs intérêts. Ce que nous vivons aujourd’hui est donc lié à ces barrières qu’on met à l’entrée de tous les secteurs. Tout est lié. Les problèmes auxquels est exposé le pays sont le résultat de ce modèle de développement qui octroie des avantages à certains groupes qui font la pluie et le beau temps dans tous les domaines d’activité ou presque : transport, céréales, industries, commerce, exportations, etc. Ces mêmes acteurs empêchent, par conséquent, les jeunes d’y accéder, en les maintenant à l’écart de la chaîne économique », décrypte l’universitaire. Et si l’on ne parvient pas à casser cette boucle, prévient-elle, rien ne changera et le statu quo sera maintenu.
Un climat économique déficient
Pour étayer l’analyse de l’économiste, une étude de la Banque mondiale, depuis 2014 déjà, concluait que, derrière la façade, « le climat économique de la Tunisie était (et reste) profondément déficient». Le même rapport précise que « des acteurs puissants ont conservé leur forte influence sur les activités économiques, les processus décisionnels et la formulation des politiques ». Ainsi, les politiques économiques et réglementaires sont conçues pour préserver les privilèges de certains fortunés. Un système qui aggrave l’exclusion sociale et économique de pans entiers de la société tunisienne. Le constat est sans appel !