Accueil Economie Supplément Economique Transition énergétique | Hichem Mansour, Président de la Tunisia Energy Society à La Presse : «La transition n’a pas évolué depuis plus d’une décennie»

Transition énergétique | Hichem Mansour, Président de la Tunisia Energy Society à La Presse : «La transition n’a pas évolué depuis plus d’une décennie»

 

«La Tunisie reste quand même attractive au niveau des projets énergétiques, avec un potentiel énorme, matérialisé par une volonté des investisseurs étrangers pour notre pays, où les règles du jeu sont claires avec une législation très complète, bien ficelée et un important gisement solaire et éolien».

Quel est votre constat sur l’état d’avancement de la Tunisie en matière de transition énergétique? Comment qualifieriez-vous l’attractivité énergétique du pays? La Tunisie a manifesté un engagement significatif envers les énergies renouvelables, avec des projets ambitieux. Comment ces projets contribuent-ils aux objectifs fixés?

La Tunisie a élaboré en 2017 une stratégie à l’horizon 2030 ayant pour but de faire avancer la transition énergétique vers un mix électrique plus diversifié et ayant une plus grande partie de l’énergie primaire provenant des énergies renouvelables, et ce, afin d’améliorer la sécurité énergétique du pays qui reste son talon d’Achille.

En effet, cette stratégie vise la production de 30% d’électricité via des énergies renouvelables, la relance de l’exploration de l’activité pétrolière, la réforme du code des hydrocarbures ainsi que la réduction de la consommation à raison de 30% à l’horizon 2030 par rapport à l’année de référence 2010.

Au début de l’année 2023, le ministère en charge de l’Energie a aussi présenté une stratégie et une feuille de route à l’horizon 2035, plus ambitieuse, allant dans le même sens que la stratégie précédente: une contribution des énergies renouvelables dans le mix électrique pour passer de 35% en 2030 à 50% en 2035 et une réduction de 30% en 2030 à 37% en 2035 de la consommation d’énergie primaire. Cette stratégie mentionne aussi la consolidation des programmes d’énergies renouvelables et la mise en place des conditions propices au développement des nouvelles technologies de la transition énergétique, notamment l’hydrogène vert. Elle a considéré le gaz et le pétrole de schiste en tant qu’option capable d’améliorer de façon significative notre sécurité énergétique, tout en créant des emplois en Tunisie.

Cette stratégie vise, également, à réduire les émissions de CO2 du secteur de l’énergie de 36% en 2030 et de 46% en 2035 et à baisser l’intensité énergétique d’un taux annuel moyen de 3,6%.

Ces stratégies reflètent une volonté réelle d’avancer en matière de transition énergétique. Toutefois, malgré ce travail sérieux et très important d’élaborations de stratégies et de mise en place d’une politique énergétique pour la Tunisie, l’avancement réel concernant leur réalisation n’a pas suivi.

En effet, le problème se situe au niveau de la mise en œuvre de ces stratégies, la transition n’a donc guère évolué et cela depuis plus d’une décennie. Par exemple, les objectifs fixés par l’Etat tunisien en 2017 en vue d’atteindre 12% de contribution des énergies renouvelables à l’horizon 2020 dans le cadre de la loi 2015 relative à la production d’électricité à partir de ces énergies, soit une capacité de 1.860 MW répartis entre éolienne (790 MW) et solaire (1.070 MW) sont loin d’être atteints. Aujourd’hui, moins de 5% de ces objectifs ont été réalisés.

Il est clair que le secteur souffre d’une faiblesse notamment institutionnelle, accrue par les différents changements opérés concernant le ministère en charge de l’Energie : création et suppression du ministère, vacances de poste de ministre, un retard de plusieurs années à créer une agence de régulation annoncée, l’absence de cette dernière aussi bien pour l’électricité que pour les hydrocarbures remet sur la table les problèmes de gouvernance, de transparence et de conflits d’intérêts auquel sont confrontées les sociétés publiques. La division de la direction générale de l’énergie en trois directions, le différend avec la centrale syndicale quant au branchement des centrales solaires au réseau de la Steg et bien d’autres facteurs ont contribué à freiner le progrès de la transition.

En fait, afin de mettre en place ces stratégies, il faut avoir les institutions, le capital humain, et des plans de réalisation très rigoureux et inclusifs, ce qui n’est pas encore le cas aujourd’hui.

La Tunisie reste quand même attractive au niveau des projets énergétiques, avec un potentiel énorme, matérialisé par une volonté des investisseurs étrangers pour notre pays, où les règles du jeu sont claires avec une législation très complète, bien ficelée (tout à notre honneur) et un important gisement solaire et éolien.

Pour atteindre les objectifs fixés en matière d’énergies renouvelables pour 2030 (soit 35% correspondant à 4.800 MW), il va falloir accélérer le déploiement des projets, notamment ceux du régime des concessions. Pour vous donner un ordre de grandeur, une fois cet objectif atteint, on pourrait économiser en achat de gaz plus de 450 M de dollars annuellement, ce qui aura un impact certain sur la balance commerciale, l’endettement et les réserves en devises.

Quels sont les principaux défis que le pays doit surmonter pour atteindre ses objectifs d’indépendance énergétique d’ici 2030?

Pour atteindre l’indépendance énergétique, la Tunisie doit faire face à plusieurs défis. En matière d’énergie, les plans et stratégies s’élaborent sur le long terme, c’est pour cela que les décisions doivent être prises rapidement. A titre d’exemple, typiquement le cycle de réalisation d’une station éolienne de 10 MGW prend bien plus qu’une année, le temps de développer un champ de gaz nécessite cinq ans et plus, il est donc important d’avoir une structure forte et stable qui dirige cet effort et évalue la stratégie sur le moyen et long terme. Dans la plupart des pays, ce sont les agences de régulations gouvernementales qui légifèrent, évaluent, font la promotion, s’occupent des tarifs, etc.). Ces agences ne changent pas avec les gouvernements pour assurer une stabilité et atteindre la sécurité énergétique.

Autre défi qui consiste en le renforcement et l’amélioration de l’infrastructure pour pouvoir intégrer les énergies renouvelables dans le réseau électrique tunisien. Ce renforcement du réseau nécessite d’importants investissements. Il est aussi important de garantir une bonne coopération avec les pays voisins pour le développement des énergies renouvelables axés sur le développement des interconnexions électriques avec ces pays, y compris l’interconnexion avec l’Europe.

Quel est le rôle du gaz dans la transition énergétique ?

Si nous pouvons atteindre nos objectifs dégagés par les stratégies susmentionnées, nous aurons à l’horizon 2030 un maximum de 35% de notre énergie provenant des énergies renouvelables. Le restant (65%, voire bien plus!) proviendra des énergies fossiles et des hydrocarbures. Le gaz joue un rôle central dans le système énergétique tunisien, sachant que les réserves conventionnelles de gaz, que nous produisons localement ou importées, arriveront à l’épuisement dans les années à venir, ce qui nous amène à réfléchir au déploiement de solutions permettant de compenser l’épuisement de ces réserves, telles que le développement des réserves identifiées, mais non encore exploitées, notamment le gaz de schiste dont les réserves sont considérées comme prometteuses et leur exploitation pourrait se faire sans grand risque, sachant que les technologies minimisant la consommation d’eau par le recyclage et préservant l’environnement ont été développées durant les dernières années.

En matière d’hydrocarbures, le benchmark de notre fiscalité avec les pays, ayant un potentiel pétrolier comparable, montre qu’il faut introduire des incitations pour améliorer notre attractivité. Il faut aussi considérer la récupération des réserves notamment le développement du possible potentiel du gaz découvert dans le golfe de Gabès, moyennant l’introduction d’une fiscalité par régions.

Il faut aussi résoudre le problème de recouvrement auquel la Steg est en train de faire face. Ayant le monopole d’achat du gaz, ses dettes envers les compagnies pétrolières prennent des proportions considérables, un problème majeur qu’il faut résoudre, afin d’encourager la recherche de nouveaux gisements par ces mêmes compagnies et encourager d’autres à venir investir.

Il est aussi nécessaire d’actualiser le code des hydrocarbures pour clarifier certaines clauses et introduire clairement l’exploration des hydrocarbures non conventionnels et réduire la période de confidentialité des données géologiques et géophysiques (G&G) et de forage pour les permis et concessions à deux ans max avec la possibilité de rendre ces données disponibles online aux investisseurs potentiels.

Pour conclure, le gaz est un élément essentiel dans le système énergétique de la Tunisie, aussi bien en termes de sécurité énergétique qu’en termes de décarbonisation, il est plus facile à transporter et, de façon générale, il restera encore dans les années à venir la principale source de production d’électricité. Par ailleurs, il est nécessaire de développer nos ressources aussi bien conventionnelles que non-conventionnelles pour répondre à nos besoins en gaz naturel et réduire considérablement notre déficit énergétique et la dissipation de nos ressources en devises.

Le volet financement est-il selon vous la principale cause en ce qui concerne les freins au développement des énergies renouvelables en Tunisie?

Le financement n’est pas le seul obstacle au développement des énergies renouvelables en Tunisie, néanmoins, certains projets, bien qu’autorisés, ont connu des difficultés de réalisation à cause de ce volet, surtout pour le régime des autorisations. D’abord, le contrat d’achat de l’électricité par la Steg (Purshase Power Agreement-PPA) est considéré par les bailleurs de fonds et par les banques comme non bancable, vu les risques à supporter par les développeurs, malgré que ce contrat a été amélioré, mais pas suffisamment.

Ensuite, il y a le manque de pratique et d’expérience des banques locales, surtout dans l’analyse des projets renouvelables (considérés comme nouveaux) et l’absence de produits de financement adaptés au besoin. Aussi, le taux d’intérêt élevé des crédits rend impossible le financement des projets avec de la dette locale compte tenu des tarifs proposés.

Charger plus d'articles
Charger plus par Sabrine AHMED
Charger plus dans Supplément Economique

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *