Chronique de la Byrsa: Djerba et le syndrome de Carthage

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J’ai toujours pensé que la Byrsa est le nombril de la Tunisie. Non pas en tant que lieu géographique ou en tant que phase historique mais en tant que point focal, un « pôle magnétique » vers lequel convergent toutes les pulsions qui parcourent le corps tunisien. Il en rend compte autant qu’il les met en perspective.

L’actualité en cette « rentrée » a été dominée par un événement marquant : l’inscription par l’Unesco de sites et monuments de Djerba (et non pas l’ile en totalité) sur la liste du patrimoine mondial. Hormis quelques esprits chagrins qui n’ont de cesse de tout dénigrer, il ne se trouvera personne pour ne pas se réjouir d’une telle distinction. Mais, passée l’euphorie du sacre, on est en droit de s’interroger sur les bénéfices d’une telle opération. Certains, donnant libre cours à leur enthousiasme, s’imaginent que l’Unesco va déverser un flot de subventions pour la sauvegarde et la mise en valeur de ce patrimoine et que les visiteurs, impatients de découvrir ces nouvelles conquêtes de la cagnotte culturelle mondiale, vont se ruer en masse sur l’Ile des Lotophages avec ce que cela induit sur le plan économique.

En 1979, soit sept ans après la création de cette liste du patrimoine mondial de l’humanité, la médina de Tunis, des sites et monuments archéologiques de Carthage (et, conséquemment, la Byrsa elle-même) ainsi que le Colisée d’el-Jem étaient inscrits sur cette liste. Ils ont été suivis par six autres sites et monuments dont le dernier en date est Djerba.

La gestion du patrimoine classé par l’Unesco est encadrée par une réglementation stricte qui vise à préserver les caractéristiques du site ou du monument et dont la non-observance peut conduire à leur retrait de la liste. Le respect de cette réglementation est en soi un bénéfice considérable parce que c’est la condition incontournable de la pérennité de ce patrimoine. Quant aux subsides, l’Unesco en use avec parcimonie et pour des opérations aussi rares que pointues. Donc, point de chimères à ce sujet. Les touristes, eux, répondent davantage à l’écho de l’histoire qu’aux sirènes de l’organisme international.

Le chaos prévalant dans tous les domaines depuis une bonne douzaine d’années, et plus particulièrement dans celui, fragile entre tous, du patrimoine, ce dernier a littéralement été mis en coupe réglée par des prédateurs de toutes sortes : chercheurs de trésors, récupérateurs de matériaux divers, vautours de l’immobilier, etc. Ils ont sévi partout, en particulier à Carthage, sans rencontrer la moindre opposition des autorités concernées. Seule une société civile anémiée a tenté de résister dans l’indifférence des contrevenants et la quasi hostilité de la mairie, passive ou ouvertement complice. Au point que l’Unesco a froncé les sourcils et menacé de retirer Carthage de la fameuse liste.

Je souhaite un sort différent à Djerba. Mais seuls un plan rigoureux de sauvegarde globale et une société civile agissante et constamment sur la brèche peuvent sauver la mise.

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