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Reportage | De Mornag à Ghomrassen : La permaculture, une alternative de vie et d’épanouissement

 

Zied, Slim, Ali et Radhouane ont choisi de quitter les sentiers battus de la culture conventionnelle pour se lancer dans la permaculture. Aussi bien à Mornag (Ben Arous) qu’à Ghomrassen (Tataouine), en passant par El Ayoun (Kasserine) et Métlaoui (Gafsa), ces jeunes et moins jeunes se battent pour concrétiser leurs rêves, mais également pour redonner vie à des terres souvent délaissées.

Dans leurs fermes respectives, ces jeunes promoteurs s’adonnent à l’agro-écologie, faisant fi des difficultés naturelles (sècheresse, taux de salinité élevé du sol) et obstacles administratifs notamment les formalités et l’absence d’incitations pour ce type d’agriculture non reconnue par l’administration agricole. Ils sèment, récoltent et fabriquent des produits de terroir, tout en réhabilitant des pratiques agricoles plus résilientes dans une Tunisie de plus en plus confrontée aux changements climatiques et à la sécheresse. Ces férus de l’agro-écologie assurent ainsi l’autosuffisance alimentaire à leur famille, tout en aidant voisins, cousins et autres producteurs locaux (artisans, transformateurs de produits agricoles) à avoir des sources de revenu et à préserver leur savoir-faire.

A l’exception de Radhouane qui continue à exercer dans l’enseignement, Slim, Zied et Ali ont interrompu des carrières «prometteuses» pour poursuivre leurs rêves de travail indépendant et se lancer dans la permaculture. Rencontrés à l’occasion de la caravane de permaculture, organisée par l’Association tunisienne de permaculture (ATP), ces aventuriers racontent à l’agence TAP leur expérience. Entre permaculture et récupération, Slim lance une ferme pédagogique. C’est à Mornag, à l’est de Tunis, que Slim Marzougui choisit de retourner après des études en «business administration» aux Etats-Unis. Il retrouve la ferme familiale, de 1,2 hectare nommée «El Berima». L’absence de traitement chimique pendant 20 ans, dans cette ferme délaissée, a incité Slim à la reprendre en main pour la dédier à la permaculture à partir de 2012. Ainsi, tout en laissant les arbres d’agrumes déjà en place, Slim a commencé à planter des oliviers, pimentiers, hibiscus produisant le gambo… «La diversification des cultures étant le maître-mot de la permaculture, alors que la monoculture laisse les plantes à la merci des parasites et des maladies», affirme cet homme de 43 ans qui a appris les rudiments de la permaculture sur le tas, tout en recourant à l’internet en cas de besoin. Les difficultés n’y manquaient pas, mais, pour Slim, «chaque difficulté le réjouit». «C’est l’occasion pour moi de chercher et de trouver une solution, toute la journée, je ne fais que trouver des solutions», dit-il. Ainsi, pour le gazon, qui occupait une partie de la ferme et dont l’arrachage et la suppression définitive constituent une difficulté de taille, il a fait intervenir une brebis. Cette dernière ainsi que l’âne de la ferme se chargent désormais à eux seuls du nettoyage d’une bonne partie de la ferme des mauvaises herbes.

Mais pour Slim «les poules demeurent les premières ouvrières de sa ferme», selon ses propos. Elles lui assurent le nettoyage du sol (insectes et autres), consomment tous les déchets alimentaires et apportent de l’azote pour le compost. Slim, pour qui «la permaculture constitue un style de vie», a fait de son projet «une ferme pédagogique «. Ainsi, tout en continuant à travailler sa terre, il creuse sa mare aux canards et construit son dôme écologique. Autant de chantiers que Slim mène en faisant appel notamment à des volontaires (un Tunisien et un étranger), en leur offrant en contrepartie gîte et couvert. Une formule largement répandue dans le monde entier. «J’ai eu auparavant recours à un ouvrier agricole, mais souvent, il me laisse tomber, alors j’ai trouvé dans les volontaires ce que je cherchais. Généralement ils se dépensent sans compter», affirme-t-il avec satisfaction. Outre la permaculture, Slim s’adonne à la récupération. Portes, persiennes, pneus et panneaux en tôle, vieilles chaises et canapés et plein d’autres choses s’entassent dans plusieurs coins de la ferme en attendant que Slim leur donne une nouvelle vie et un nouvel usage. Voilà un vieux réfrigérateur transformé en pot pour plantes, juste à côté, des panneaux en tôles servent de clôture pour le poulailler, alors que de vieilles persiennes servent de décor pour la terrasse où Zied tient sa table d’hôte. Au menu, un plat peu connu dans la cuisine tunisienne, la salade de sorgho.

A El Ayoun, le retour aux sources

En 2019, la famille de Mnaouar Marzougui et son fils Zied vivaient en ville. Mais le confinement décidé en raison de l’épidémie du Coronavirus a contraint cette famille composée de 7 membres à quitter sa maison à Kasserine-Ville, vers leur village d’origine «El Ayoun». Dans ce patelin qui se trouve non loin de Thala, la famille dispose de 9 hectares et d’une petite construction rudimentaire faisant office au début de maisonnette de vacances. Au début, le père de cette famille, Mnaour Ben Abdallah Marzougui 69 ans, ne songeait qu’à sa survie. «Je voulais sauver mes enfants (3 garçons et 2 filles) et leur offrir un cadre plus sain», raconte-t-il à l’agence TAP. Pour son fils Zied, titulaire d’un doctorat en chimie biologique qui travaillait, jusqu’en 2016, dans une entreprise d’aquaculture à Sfax et puis collaborait avec des laboratoires d’analyse des eaux, c’était l’occasion pour échapper à un stress insupportable et à un environnement de travail fortement exposé à la manipulation des produits chimiques. Pour Zied qui s’intéressait déjà à l’agriculture, le retour à El-Ayoun lui a offert l’opportunité de tenter autre chose. Le confinement imposé a permis à toute la famille de se retrouver et de resserrer les rangs pour se concentrer sur leur ferme. L’Aid El-Idha s’approchant, des proches et amis du père à la retraite, et subissant comme lui la crise du non paiement des pensions de retraite, ont commandé leurs moutons de sacrifice à Zied, avec paiement différé. En acceptant cette recommandation, Zied a non seulement, récupéré son dû avec retour sur investissement mais, également, il a pu se tailler une réputation en ce qui concerne la qualité de la viande de son petit cheptel. Le chimiste, qui allait quitter la Tunisie pour un poste d’enseignant à l’université de Jeddah en Arabie Saoudite en mars 2020, mais avait dû y renoncer en raison du blocage des visas et de la fermeture des frontières, a trouvé son compte dans l’agro- écologie (l’équivalent d’un salaire pour lui et son jeune frère), et bien plus (un environnement sain et calme). Zied a lancé son élevage avec environ 7.000 dinars, dont 4 millions pour l’achat des têtes de bétail (chevreaux et agneaux de 3 mois) et 4 millions pour leur alimentation. Grâce à l’élevage des chèvres et moutons, dont le nombre varie, selon les saisons et les conditions climatiques (30 brebis après la vente de 30 autres) et 250 poules contre 10 seulement et un coq au départ, ce jeune de 36 ans s’est lancé à fond dans un projet intégré qui lui permet d’utiliser le fumier pour nourrir la terre. «Mon premier souci était d’abord de refertiliser le sol». Il a, en même temps, procédé à la plantation d’arbres pour créer l’ombre, tout en protégeant son potager du soleil de plomb même en octobre.

Soutenue par sa famille, particulièrement par sa mère, qui l’aide à tenir les comptes et à transformer les produits (fromage de chèvre, gâteaux traditionnels) dans sa propre cuisine, Zied continue à développer son projet. Il dispose de 9 hectares, dont la récolte très diversifiée (céréaliculture, oliviers, arbres fruitiers et potagers) lui permet «de nourrir sa famille en quasi autonomie ainsi que de vendre quelques produits principalement, la viande et les œufs». Il loue, également, des terres en friche à des voisins et à des proches et compte bien grâce aux deux réservoirs d’eau (Mejels) creusés tout près de la maison agrandie entretemps, utiliser son expérience en matière d’assainissement naturel de l’eau usée. Cette famille projette de lancer sa table d’hôte pour offrir à ses visiteurs la possibilité de goûter à des produits laitiers et agricoles authentiques (huile d’olive, fromages de chèvre et Bessissa déjà disponibles) sur place et bien davantage.

De l’écotourisme à l’agro-écologie oasienne à Richet Enam

Ali Sadraoui, 29 ans, est titulaire d’un master en informatique (système embarqué). A sa sortie de l’université, il a entamé sa carrière d’informaticien dans une entreprise privée à Sousse, mais au bout d’une année, il n’a pas supporté «le confinement du bureau». Habitué au grand air et à l’aventure (a fait Béja/Bizerte à pied, et fait le tour du sud-est tunisien avec un ami), Je rêvais d’être mon propre chef et je ne supportais pas les contraintes au bureau». Faisant fi des inquiétudes de sa mère, il se lance en tant que guide touristique dans sa région où il organisait des randonnées dans les montagnes de Thalja (Metlaoui). Ali a été rapidement associé à un projet solidaire d’écotourisme financé par l’Agence allemande GIZ. Il a pu ainsi entamer l’aménagement d’un centre de camping dans l’oasis de sa famille à Richet Enam, «l’oasis mère et une des plus anciennes» dans la région, selon ses habitants. Mais son rêve ne s’est pas arrêté là, il œuvre avec l’aide de sa famille «à créer tout un écosystème interdépendant et harmonieux dans l’oasis» de 15 hectares à sa disposition, et ce, indépendamment de toutes les difficultés administratives (la patente et le blocage du financement). Outre les palmiers dattiers, cette oasis comporte des abricotiers, des grenadiers et de la luzerne. Ali y possède des chèvres et des canards et propose aux visiteurs une panoplie de produits de terroir, tels que les marmelades de dattes, le beurre et des plats locaux (Metabgua). Contrairement à Slim, Zied et Ali, dont les exploitations étaient déjà plantées, Radhouane Tiss n’avait sur la terre, héritée de ses ancêtres, que deux oliviers. Ce géographe, passionné d’agriculture depuis longtemps, s’adonnait au début à l’agriculture à sec (oliviers et orge) sur son terrain de 3 hectares, tout en mijotant son projet de permaculture (économie et collecte de ressources). «Dès le départ je voulais quelque chose de durable, fondé sur la nature et préservant la diversité», raconte Radhouane à ses visiteurs. En 2017, il lance son domaine «Oued El Khil» (vallée de chevaux) avec des semences paysannes résistantes à la sècheresse. Il plante 700 arbres fruitiers, et plantes fourragères et toutes sortes de fruits et légumes. Grâce au puits creusé dès le départ et des équipements d’irrigation goutte à goutte, Radhouan dispose d’assez d’eau pour ses plantes, mais essaye d’en limiter le recours, afin de développer leur résistance au climat aride de la région en recourant au paillage pour préserver l’humidité du sol. Il a investi notamment 50.000 dinars dans la construction d’une maison d’hôtes éco-responsable et 2 dômes. Le premier est destiné à accueillir des touristes et le deuxième très rudimentaire sert de bergerie pour ses animaux (chèvres et poulets). Radhouane met actuellement les touches finales à un troisième dôme encore plus grand (2 chambres, salon, coin cuisine et douches). La main-d’œuvre nécessaire à ce genre de construction est chère, mais il y a toujours la possibilité de faire appel à des volontaires (6 personnes) pour l’aider dans ses chantiers. Depuis le lancement de son projet, Radhouane affirme y avoir fait appel à 3 reprises.

Le domaine «Oued El Khil» propose gîtes et couverts aux touristes tunisiens et étrangers pendant 9 mois à l’exception de l’été.

Ce tourisme écologique permet à Radhouane d’écouler ses produits. Il est en «autosuffisance alimentaire» et obtient deux récoltes de pommes de terre par an, des tomates (2 variétés) et plusieurs autres fruits et plantes aromatiques. «Ses achats de l’extérieur se limitent à quelques légumes et lait pour les chevreaux» durant la période de sevrage. Pour son Frère Abderrazek, ce qu’a fait Radouane dans son domaine «Oued El Khil» (la vallée des chevaux) est «titanesque». Alors que pour Radhouane, il suffit de faire preuve de persévérance et de souffle.

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