C’est un tout petit bout de femme, pas plus haute que trois pommes. Imaginez : les petits écoliers qui défilent devant son commerce pour se rendre à l’école voisine, lorsqu’ils la croisent, sont tentés de se mesurer à elle pour se prouver qu’ils sont déjà grands !
Est-ce par prédestination ou par mimétisme : Fatma, que j’appelle affectueusement Fattoum, a le minois d’un (gentil) félin au regard mi-méfiant, mi-caressant. Elle a le verbe discret. Elle le livre dans une suave déclinaison avec des accents d’urbanité empreinte de bienveillance. Et ne vous étonnez pas, passant non loin de son kiosque, de l’entendre s’exprimer aisément en français avec quelque chaland étranger, ses clients devenant souvent des amis, revenant avec ou sans raison pour une course ou pour papoter avec elle de choses et d’autres.
Des fleurs et des chats
Je parlais de commerce. Le sien est assurément l’un des plus beaux qui soient : celui des fleurs et des plantes qu’elle propose en bouquets ou en pots. Elle tient donc pignon sur rue, l’une des principales de ce quartier de Byrsa, à Carthage, non loin de la perception des impôts, qui voit affluer vers elle des contribuables de tout le spectre social et, parmi eux, nécessairement nombre de clients potentiels pour «Les fleurs de Carthage».
Cultivant son jardin avec passion, Fattoum a fait de son kiosque un îlot de dense verdure, contrastant cruellement avec l’aridité du square municipal qui lui fait face et que le Centre de formation continue de (la) Sûreté contigu a contribué à convertir en dépotoir de déchets plastiques. Surtout, elle en a fait un havre pour la gent féline, à laquelle elle déclare vouer son existence. C’est peu dire qu’elle aime les chats. Elle leur consacre tout son être. Elle les accueille et les recueille dans son petit paradis. Car il en est qui, discrètement, dans l’obscurité de la nuit, viennent déposer, dans le «fourré» qu’elle a aménagé sur quelques mètres carrés, des cartons contenant des bébés-chats pas même sevrés, sans compter les autres. Elle les adopte, les nourrit, les soigne, leur donne une identité et les couve comme une maman-poule. Mais pas seulement.
A la «Petit Poucet»…
Habitant à La Marsa une vaste maison, elle entretenait une centaine de ces félins auxquels s’ajoutait nombre de chiens errants. Le chemin qui la menait de sa demeure à son travail était ponctué de haltes pour distribuer aux matous de la nourriture qu’elle prépare chaque jour et qu’elle veille à équilibrer du point de vue alimentaire. Ayant dû emménager non loin de son commerce, elle se félicitait d’avoir trouvé une demeure pourvue d’une cour assez grande pour abriter le plus grand nombre possible d’hôtes. Toutefois, ne vous étonnez pas de l’entendre, une fois ou l’autre, pousser des cris de désespoir en se tenant la tête : c’est que l’un de ses protégés, par inexpérience ou par imprudence, se sera hasardé sur la chaussée, passant entre —ou sous— les roues d’un véhicule se rendant à la perception des impôts. A moins qu’elle ne réussisse à alerter à temps la bête ou le chauffeur. Petite de taille, Fattoum. Mais, assurément, elle est une «une femme et demie» !