Dans une poignée de semaines, précisément en février prochain, dix ans se seront écoulés depuis la disparition de Robert Stoll. Mais qui était donc M. Robert Stoll ?
Nous avons fait sa connaissance en 1996 suite à la parution sur ces colonnes d’un article consacré à une superbe résidence érigée dans un domaine de plus de six cents hectares à la sortie sud de la capitale, au lieu dit Bir el-Kasaâ, aujourd’hui dans le gouvernorat de Ben Arous. Cette immense exploitation agricole a été déclassée, morcelée, et, disons-le tout crument, livrée à la spéculation immobilière qui a fleuri dans notre pays dès le lendemain de l’Indépendance, donnant naissance la première tranche du quartier d’el-Ouardia. Quant à la résidence, un véritable joyau de l’architecture traditionnelle de Tunisie, qui avait été édifiée vers 1833 par un proche du bey régnant Ahmed, et dont nous avons retrouvé la trace dans l’ouvrage paru en 1889, consacré par l’artiste Charles Lallemand à la Ville de Tunis et ses environs, elle semblait s’être volatilisée. Et nous nous demandions où était passé ce trésor. C’est à cette interrogation qu’est venu répondre Robert Stoll.
Notre visiteur, un septuagénaire qui toisait les deux mètres de haut, avait des allures de plantigrade. Il n’en avait pas moins des manières d’une extrême douceur, ce qui n’excluait pas une certaine amertume dans la voix et de la tristesse dans les yeux lorsqu’il évoquait le passé, son passé avec le domaine. Il s’est mis à dérouler le fil de ce passé. Le grand-père de Robert Stoll était venu en Tunisie en 1855, « bien avant le Protectorat » tenait-il à souligner, pour livrer à Ahmed Bey le « vapeur » qu’il avait acquis auprès d’un chantier naval français. Voulant ensuite s’en retourner d’où il était venu, il a été instamment prié par le souverain tunisien de rester dans le pays en tant qu’ingénieur en chef de sa flotte à vapeur.
Louis, le père de Robert, est né à La Goulette en 1877. Il a fait ses études à Tunis puis à Aix-en-Provence où il a obtenu un diplôme d’ingénieur. Revenu en Tunisie, « il se consacra au développement de la Tunisie » dans des domaines aussi différents que la pêche avec la création dès 1912 des pêcheries du lac de Tunis ; les travaux publics, avec la participation active à partir de 1919 à la création du réseau routier du pays ; le dragage avec la création, dans les années 1920-25, de la base d’hydravion de Kheireddine, en banlieue nord de Tunis et du port de Houmt-Souk, etc.
«Industriel et industrieux infatigables», Louis n’en était pas moins à l’écoute des plus démunis. «Exigeant mais toujours juste et bon», il entretenait les meilleurs rapports avec les centaines d’employés, d’ouvriers et d’artisans qui ont travaillé sous ses ordres. Le jour de son enterrement, le 16 janvier 1948, derrière le cortège funèbre, «les chéchias étaient plus nombreuses que les têtes nues».
(A suivre)