Accueil Culture Laure de Hauteville ou la femme aux 37 foires d’art, à La Presse : «Il est temps de montrer la richesse du Mena et la créativité de ‘‘nos’’ artistes»

Laure de Hauteville ou la femme aux 37 foires d’art, à La Presse : «Il est temps de montrer la richesse du Mena et la créativité de ‘‘nos’’ artistes»

 

Laure de Hauteville a créé, sans le savoir, et probablement sans le vouloir, une houle qui a déferlé sur le monde des arts. Toute jeune passionnée, fraîchement émergée de ses études d’Histoire de l’Art, elle tombe amoureuse du Moyen-Orient, s’installe à Beyrouth et entreprend de monter la première foire d’art moderne et contemporain consacrée aux artistes du Mena—Middle East North Africa —Artuel. Et la première interview qu’elle accorde à un journal étranger fut… à La Presse de Tunisie.

De longues années plus tard, après de magnifiques expériences au Moyen-Orient, et dans les pays du Golfe, et de nombreux et prestigieux foires et salons, c’est à Paris que l’on retrouve Laure de Hauteville, toujours à travers le prisme des arts du Mena. Elle a créé, en effet, en pleine pandémie, une foire dédiée toujours au Mena. Il fallait de l’audace, elle en avait. De l’ingéniosité, elle en avait aussi, pour se souvenir que, outre les pharmacies et les supermarchés, seuls commerces étaient autorisés à ouvrir… étaient les maisons de vente !! Ce fut donc dans une maison de vente parisienne célèbre que se tiendra son premier Mena Art Fair. Ce fut un succès et sa foire se développe, se déplace alternativement de Paris à Bruxelles, et draine artistes et galeries du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord que découvrent institutions, fondations, collectionneurs et amateurs européens.

La quatrième édition de Menart Art Fair se tenait à Paris, au Palais d’Iéna, réunissait plus de 30 galeries venant de 14 pays — dont une intéressante participation tunisienne — et 6 fondations et institutions.

Nous avons rencontré pour vous Laure de Hauteville, la femme qui a, à son actif à ce jour, l’organisation de 37 foires d’art moderne et contemporain.

C’est à Beyrouth que votre aventure artistique a commencé. Qui était Laure avant de s’engager dans cet univers dont on ne sort jamais ?

L’histoire est bien longue. En fait, j’ai toujours baigné dans une atmosphère artistique. Auprès d’une grand-mère qui avait fait les Beaux-Arts en 1925, peignait assidûment, et me trainait dans les musées et galeries pendant que mes amies couraient les parcs d’attraction. Je trouvais cela profondément injuste à l’époque, mais extraordinairement formateur. Mon premier tableau est d’elle.

Mes parents étaient également collectionneurs, aimaient à parler de leurs peintres préférés, et, bien sûr, couraient les galeries.

Quant à ma découverte du Moyen-Orient, c’est encore à ma grand-mère que je la dois : la visite d’une exposition sur l’Egypte au Louvre à l’âge de douze ans a été pour moi une découverte. J’y suis retournée plusieurs fois, et je me suis dit : « Un jour je  travaillerai au Moyen-Orient ».

C’est en fait dans une galerie parisienne que j’ai commencé à travailler, parallèlement à mes études en Histoire de l’art : une galerie spécialisée dans les artistes abstraits des années 50. Puis mariée très jeune, j’ai suivi mon mari au Liban. C’était en 1991, dans une situation très tendue, un pays en effondrement et un quotidien difficile. Mais cela ne m’empêcha guère de découvrir la scène artistique libanaise, de rencontrer des artistes, de visiter des ateliers, des expositions. Ayant eu la chance de me voir confier la rubrique culturelle d’une revue « Le commerce du Liban », je pus ainsi connaître ceux qui sont aujourd’hui les plus grands artistes actuels, et débuter ainsi une petite collection. Puis de fil en aiguille, je commençais à organiser des expositions dans les lieux les plus improbables : une citadelle, un château de croisés, un caravansérail…Le succès que rencontrèrent ces expositions amena le directeur d’une grande banque libanaise à me confier la responsabilité de sa collection et la mission de conseillère artistique.

Puis est venu le temps des salons…

Le premier était un petit salon libano-libanais monté pour cette banque : Jabel—jeunes artistes des Beaux-Arts du Liban—, jeu de mots qui faisait référence à la montagne libanaise, immense et grandiose. Cela a duré 11 ans et j’ai adoré cette époque durant laquelle j’ai monté 15 éditions de Jabel.

En 1998, une amie qui organisait des salons commerciaux dans de tout autres domaines me demande d’organiser une exposition comme « animation » au sein de son salon. J’invite une trentaine de galeries et j’intitule ce salon Artuel. Sans le savoir et sans le vouloir, j’étais en train de créer la première foire d’art moderne et contemporain de la région, dédiée aux artistes du Mena. Ce que je n’oublierai jamais, c’est que la première galerie étrangère à participer à Artuel était une galerie tunisienne : la galerie Gorgi. Et le premier article paru dans la presse étrangère était signé… Alya Hamza dans le journal La Presse de Tunisie. Vous me l’aviez envoyé par fax. J’étais si fière ! Et je le garde toujours dans mes archives.

Ce travail était chronophage, difficile, j’étais seule à l’assumer. Mais la presse libanaise réclamait une deuxième édition. Je ne pouvais laisser tomber. Il y eut d’autres Artuel jusqu’en 2005.

Puis ce fut l’assassinat du premier ministre Rafik Hariri, et le Liban plonge dans le chaos.

Menart Fair

Vous rentrez alors à Paris, mais pas pour longtemps

Effectivement, je rentre à Paris, mes deux filles Edwige et Constance sous le bras, et divorce dans la foulée.

Puis je rencontre l’équipe d’Art Paris au moment où ils voulaient exporter leur foire dans l’un des pays du Golfe. Je me positionne immédiatement et pars à Abu Dhabi qui venait de recevoir La Sorbonne et se préparait à accueillir le Louvre. J’en reviens dix jours plus tard avec une lettre officielle de Sheikh Mohamed Ben Zayed Al Nahyan m’autorisant à créer Art Paris-Abou Dhabi à l’Emirate Palace, seul hôtel de 7 étoiles. Autant dire les Mille et Une Nuits.

Ce fut l’une des plus belles expériences de ma vie. Puis, le gouvernement reprit le concept et le rebaptisa Abu Dhabi Art Fair qui perdure et où j’ai le grand bonheur de me rendre chaque année.

En 2009, je rencontre celui qui allait devenir mon mari : Guillaume Taslé d’Heliand, homme passionné par les arts, la culture, l’archéologie et… le Moyen-Orient. Je l’emmène visiter mon cher Liban où la situation s’améliorait nettement. Et je décide alors de partager mon temps entre Paris et Beyrouth.

Je monte alors Beyrouth Art Fair, suivi de Singapour Art Fair, dédié aux pays du Menasa — Middle-East, North Africa, South-East Asia — soit la route de la soie.

En 2019, Beyrouth Art fair est au summum de son succès avec la participation d’une soixantaine de galeries, 38.000 visiteurs pour la dernière édition, de nombreuses ventes, des colloques, des conférences, un programme hors les murs…

Et c’est la double explosion du port.

Ayant tout perdu, nous rentrons à Paris. La pandémie paralyse le monde.

Mais pas vous. C’est à ce moment que vous montez  Art Fair ?

En fait, c’est la première fois de ma vie que j’ai le temps de réfléchir, lire, trouver des idées, lancer des concours d’artistes sur Internet. Et me vient alors l’idée de créer Menart  Art Fair, foire d’art consacrée aux artistes du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord.

En 2021 a lieu la première édition dans la maison de vente de Cornette Saint Cyr. Car souvenons- nous : en France, les seuls commerces autorisés à ouvrir en temps de confinement étaient les pharmacies, les super- marchés et… les maisons de vente.

Ce fut un succès !

Suivra une édition à la Villa Empain-Fondation Boghossian à Bruxelles, puis à nouveau à Paris dans le sublime Palais d’Iena, siège du conseil économique, social et environnemental qui offrait à notre jeune foire ses lettres de noblesse. Un lieu magique que signa l’architecte Auguste Perret.

Nous travaillons actuellement sur une prochaine édition à Bruxelles, puis de nouveau à Paris avec un concept novateur que nous vous dévoilerons plus tard.

A mon actif, j’ai donc la réalisation de… 37 foires.

Beyrouth Art Fair à été précurseur sur la scène artistique Mena. D’autres ont suivi : Doha, Dubaï, Abu Dhabi et maintenant l’Arabie Saoudite. Avez-vous conscience d’avoir initié un vaste mouvement d’intérêt pour l’art de cette région ?

En fait, je ne m’en suis pas vraiment rendu compte, la passion l’emportant sur tout le reste.

Ce qui est certain, c’est que sans m’en rendre compte, j’ai créé la première foire au monde dédiée à l’art et aux artistes du Mena. J’adore nos artistes. Il est temps de leur donner la parole, d’écrire, grâce à l’art, l’histoire de ces pays, de montrer aux institutions, fondations, collectionneurs et amateurs la richesse du Mena, la créativité de « nos » artistes. Pour moi, ce fut un réel bonheur.

Menart est une foire voyageuse, toujours Hébergée en des lieux prestigieux. Est-ce un choix ? Et ne gagnerait-elle pas à avoir un lieu dédié ?

Les arts du Mena méritent un écrin prestigieux. La Fondation Boghossian en était un. Le Palais d’Iena est exceptionnel : une ode à la lumière, un palais des Mille et Une Nuits. Menart Fair a signé avec le Palais pour trois années consécutives. Et j’ai adoré être chez Cornette de Saint Cyr où Arnaud, homme de grande subtilité, perpétue avec finesse la mémoire de son père qui nous a récemment quittés, ce qui est une grande perte pour l’art.

Quelle sera pour vous la prochaine étape ?

Bruxelles en février prochain, capitale de l’Europe, et aussi, on le sait moins,  capitale des collectionneurs. Puis Paris à nouveau, en septembre 24, au Palais d’Iena.

Entre-temps, en ce qui me concerne personnellement, j’ai rejoint la Sorbonne dans le cours de la vice-doyenne, Rose Marie Ferré, pour des étudiants en Master 2, « Marché de l’Art et expertise » dans leur programme sur le Mena. Je viens de commencer, et les étudiants sont passionnés. C’est un bonheur. J’aime transmettre cette passion, casser les frontières, créer des ponts pour l’art, la liberté, l’égalité des peuples et la fraternité dans l’art… éternellement.

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