Robert Stoll, qui nous a retracé, en 1991, la saga de sa famille originaire d’Alsace, en France, nous a donc appris, dans notre livraison de la semaine dernière, que son grand-père était venu en 1855 livrer au Bey un « vapeur » qu’il avait commandé à un chantier naval français et que c’était sur l’insistance pressante du monarque tunisien que l’ancêtre avait accepté de s’installer en Tunisie en tant qu’ingénieur en chef de la flotte beylicale. «C’était une génération avant l’établissement du Protectorat français sur la Tunisie. Ma famille a choisi de servir la Tunisie bien avant 1881 », tenait à préciser Robert, comme pour souligner la légitimité de la présence de sa famille en terre tunisienne.
Après le décès du grand-père, son fils, Louis, né en 1877 à La Goulette, a, lui aussi, a embrassé la carrière d’ingénieur. Bâtisseur de grands ouvrages d’infrastructure à travers le pays, il s’est fait la réputation d’« un patron exigeant, mais juste et bon ». Louis a acquis un vaste domaine de 640 ha, à la sortie de Tunis, à Bir el-Kasaa. Dans cette propriété, il y avait une ancienne résidence princière, un véritable bijou de l’architecture traditionnelle tunisienne qu’évoque le voyageur français Charles Lallemand dans son superbe livre «La Tunisie, pays de protectorat français » paru en 1892 et que j’ai la chance de posséder. Cet ouvrage est illustré de très belles planches en aquarelle dont quelques-unes consacrées à ce domaine et à cette résidence.
C’était, hélas, l’aube de la spéculation et des manigances
Dans un article paru ici même en 1998, je me suis enquis du sort de cette pépite. Ce qui amena Robert Stoll à se présenter au siège de La Presse pour éclairer ma lanterne. Il m’a appris qu’il était en procès contre l’Etat tunisien pour l’injuste confiscation du domaine familial lors de la nationalisation des terres coloniales et pourtant acquis en toute légalité et qui fournissait à Tunis une grande partie de ses vivres tout en assurant à sa main-d’œuvre des conditions de travail et de vie (puisque chaque employé avait été doté d’un petit lopin de terre entouré d’un jardin pour servir de potager et pour élever quelques bêtes). C’était, hélas, l’aube de la spéculation et des manigances de toutes sortes dans la Tunisie de l’après-Indépendance. Et le domaine a été littéralement équarri, réparti en lots pour la construction de « cités » dont El Ouardia I.
Et la résidence, dans tout ça ? Mon interlocuteur m’a appris qu’il avait été récupéré par le ministère de l’Intérieur qui y a installé… un centre de redressement pour mineurs. Il a y dix ans presque jour pour jour, nous interpellions ce département ministériel et l’Institut national du patrimoine « pour savoir (et voir) ce qu’est devenu ce bijou du patrimoine national ». Nous attendons toujours une réponse du vénérable Institut national du patrimoine (qui ne sert plus à rien) et, aujourd’hui, du ministère de la Justice, devenu tuteur de l’administration pénitentiaire.
Robert Stoll est décédé en février 2014 sans réparation du grave préjudice matériel et moral qui lui avait été occasionné. Sa dévouée et distinguée épouse l’a suivi de près. Mais nous avons appris que, parmi ses arrières petits-enfants, on compte un Ismaël, une Inès et une Emna…