Regardez-la bien : avec sa crinière ébouriffée, elle a tout d’une battante. L’arène de Carthage en sait quelque chose qui la voit livrer bataille sur bataille contre les convoitises de prédateurs redoutables, allant de spéculateurs sans scrupules à une administration insoucieuse ou complice. Et si, pour pasticher un grand disparu, elle tient d’une main ferme le glaive de l’intransigeance citoyenne, de l’autre elle tend non un rameau d’olivier mais une main constructive armée d’une truelle. Voilà pour la métaphore. Qu’en est-il du reste ?
Salwa Jaziri Arfa, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, la cinquantaine bellement épanouie, est mère de deux jumeaux aujourd’hui ferraillant à Paris, l’un dans les sciences juridiques, l’autre dans les «métiers d’avenir» (développement durable) ainsi que d’une belle et jeune Etoile (Nejma, de son prénom) qui, pour fêter ses dix-huit printemps, s’est adjugé l’automne dernier les titres de première cavalière tunisienne et seconde en Afrique !
Citoyenne de la plus glorieuse de nos cités, Salwa y avait effectué une première incursion quand, adolescente, venant de la médina de Tunis où elle était élève de l’école primaire Nejma (!), rue Jemaa ez-Zitouna, elle a été dirigée sur le lycée de Carthage pour y poursuivre ses études secondaires. «Précoce», dit-elle, elle a entamé des études en marketing pour s’engager au plus tôt dans la vie active. Une annonce faite par le premier opérateur du tourisme alternatif français va l’engager sur la voie qui va être la sienne jusqu’à ce jour. Partie à l’âge de 26 ans dans le Sahara en tant qu’«accompagnatrice de randonnée» et, en passant par Douz, la porte du désert tunisien, elle va faire une rencontre décisive en la personne de Magid Létaïef, grande figure de la ville, pionnier du tourisme saharien, aujourd’hui disparu. Il l’a repérée du premier coup d’œil et l’a «débauchée» pour en faire son assistante dans son agence avant de lui en confier la direction durant quatre ans. Le temps qu’un autre opérateur d’une grosse pointure la remarque à son tour et lui propose d’intégrer son groupe pour en être la responsable sur Djerba pour l’organisation d’excursions dans tout le Sud avant de prendre en charge les circuits de la maison dans tout le pays. Aujourd’hui, elle est également en charge du marketing du groupe. Pour autant, elle n’oublie pas son premier maître, son mentor dont elle évoque le souvenir toujours avec tendresse et une quasi dévotion. Belle réussite professionnelle, belle réussite familiale. Mais aussi un virus : celui de l’engagement citoyen, en individuel ou en associatif. Membre de l’Association des Amis de l’INP, de celle des Amis de Carthage, fondatrice de celle des Parents d’écoliers en difficulté (dyslexie et dyspraxie), elle a également bataillé en solitaire pour la protection du site archéologique du Cirque de Carthage aujourd’hui presqu’entièrement saccagé par le bâtiment, pour la défense du jardin d’enfants de la Byrsa accessible aux enfants des familles démunies et que des affairistes véreux veulent soustraire à l’autorité de la municipalité, pour protéger les ports puniques contre une exploitation dégradante, pour veiller à la propreté de la ville, etc..
Tout cela a valu à Salwa une cascade de plaintes pour diffamation. Pas moins de 11 procès au terme desquels les plaignants ont été déboutés. Sauf la fois où une peine d’emprisonnement de six mois a été prononcée à son encontre par contumace et à son insu, n’ayant jamais reçu du tribunal la moindre convocation ! Son avocat en a eu connaissance par hasard, a introduit un recours qui, lui aussi, a débouché sur un non-lieu.
Et maintenant ? «Carthage, Carthage, Carthage !» martèle Salwa.