Accueil A la une Economie-société : Entre augmentation des salaires et inflation, comment se porte le pouvoir d’achat des ménages ?

Economie-société : Entre augmentation des salaires et inflation, comment se porte le pouvoir d’achat des ménages ?

 

En dépit de la mesure décidée en janvier 2022 par le Chef de l’Etat relative à la suspension du prélèvement sur les pensions de retraite et de la légère hausse de la pension suite à l’accord d’augmentation des salaires dans la fonction publique, la situation financière ne s’est pas améliorée pour autant pour les pensionnaires, en raison notamment de la non-révision du Smig et des points du régime complémentaire. De plus, les arriérés n’ont pas été versés. 

En avril 2023, la Présidence du gouvernement avait annoncé l’adoption d’une nouvelle méthode de calcul pour introduire l’augmentation de 5% des salaires dans le secteur public suite à l’accord conclu avec l’Union générale tunisienne du travail (Ugtt). L’augmentation est effectuée sur la partie fixe du salaire mensuel brut au titre des trois années 2023, 2024 et 2025. Cet accord a été jugé positif par le secrétaire général adjoint de l’Ugtt, chargé des installations et offices publics, Slaheddine Selmi, puisqu’il est en adéquation avec l’accord conclu entre le gouvernement et la centrale syndicale le 14 septembre 2022.

Selon cet accord qui a participé au réchauffement des relations entre les deux parties, «une augmentation générale des salaires est accordée aux agents de l’Etat, des collectivités locales et des établissements publics à caractère administratif, et est intégrée aux indemnités spécifiques. La majoration de l’indemnité de gestion et d’exécution n’est pas cumulable avec la majoration de l’indemnité de résultat d’exploitation allouée au personnel du ministère des Technologies de la communication». En d’autres termes, cette augmentation sera allouée sous forme d’indemnité durant 12 mois et ne sera pas calculée pour les indemnités annuelles.

Quant au secteur privé, une convention sur l’augmentation des salaires pour les années 2022, 2023 et 2024 a été signée entre l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat et l’Ugtt. Cet accord stipule une augmentation du salaire de base estimée à 6,5% au titre de 2022. Une deuxième augmentation du salaire de base estimée à 6,75 % au titre de l’année 2023 et une augmentation du salaire de base estimée à 6,75 % pour l’année en cours.

Impact de l’inflation sur l’augmentation salariale et émigration organisée  

Cette augmentation survient dans un contexte économique difficile marqué par la persistance des risques inflationnistes et la détérioration du pouvoir d’achat. Malgré ce contexte, nos experts ont tendance à minimiser les retombées de cette augmentation salariale. Dans sa déclaration à notre journal, le professeur universitaire en sciences économiques Ridha Chkondali explique que le taux d’inflation au moment de la conclusion de l’accord sur l’augmentation salariale entre la partie syndicale et le gouvernement en 2022 était bien supérieur au taux de l’augmentation décidée, ce qui nous donne déjà une idée de la détérioration du pouvoir d’achat qui s’est depuis accentuée avec notamment l’augmentation considérable du taux d’inflation.

«On est en train d’assister à l’écroulement du pouvoir d’achat du citoyen jamais observé»

L’expert rappelle à cet effet l’effet domino de l’inflation qui s’est traduit par la décision du Conseil d’administration de la Banque centrale de Tunisie en décembre 2022 de relever son taux directeur à 8,0%, impactant ainsi et de manière considérable le coût du financement des crédits. Il faudra aussi prendre en compte l’augmentation de la TVA selon la loi de finances 2024. Ce sont justement le ménage et le consommateur qui payent la TVA et non les entreprises et c’est de cette manière que le pouvoir d’achat du citoyen dégringole de plus en plus.

Selon Ridha Chkondali, on est en train d’assister à l’écroulement du pouvoir d’achat du citoyen jamais observé auparavant. Ce qui a engendré l’amplification du phénomène de l’émigration organisée des compétences tunisiennes, notamment des médecins, des ingénieurs et des professeurs universitaires. Quand le pouvoir d’achat recule considérablement, le taux d’émigration, en particulier des compétences, augmente systématiquement, avertit notre expert.

Selon une étude élaborée par la chercheure Sondes Belhaj, dans le cadre du projet d’appui à l’Observatoire national de la migration, «sur un volume total de migrants, le taux des diplômés du supérieur a doublé, passant de 10% en 1990 à 20% en 2016.

Ce mouvement s’est accéléré depuis 2011, date qui a vu un départ massif des compétences scientifiques. Une émigration motivée par les conditions d’instabilité et de fragilité socioéconomique du pays, avec un taux d’inflation de 8%, une dépréciation du dinar tunisien et un taux de chômage élevé voisinant les 16%».

Pour sa part, l’Agence tunisienne de coopération technique a enregistré au cours des neuf premiers mois de 2023 une évolution de 20% des affectations en comparaison de la même période de 2022. Les secteurs d’activités les plus touchés, la santé avec 1.246 cadres médicaux et paramédicaux, l’enseignement avec 873 recrutés, ensuite l’ingénierie avec 400 recrutés par les pays étrangers. Les pays européens sont ceux qui recrutent le plus les compétences tunisiennes. Il est à noter qu’au 30 septembre 2023, le nombre total de coopérants et d’experts exerçant à l’étranger s’élève à 24.143.

Quid des retraités?

En dépit de la mesure décidée  en janvier  2022 par le Chef de l’Etat  relative à la  suspension du prélèvement sur les pensions de retraite et de la légère hausse de la pension suite à l’accord d’augmentation des salaires dans la fonction publique, la situation financière ne s’est pas améliorée pour autant pour les pensionnaires, en raison notamment de la non-révision du Smig et des points du régime complémentaire. De plus, les arriérés n’ont pas été versés. Impossible de vivre sans endettement pour les fonctionnaires des deux secteurs privé et public ces dernières années. Que dire alors pour les pensionnaires qui se trouvent au bout du rouleau et n’arrivent plus à joindre les deux bouts.  

Le refus de réviser toutes les lois portant atteinte à ce système dépassé, en prime la loi 2007/43 amendant et complétant les lois régissant les pensions accordées au titre des régimes de retraite, d’incapacité et de survivants dans les secteurs public et privé, ainsi que  les régimes spéciaux, ont poussé les pensionnaires à manifester le 11 janvier 2023 devant le Théâtre municipal à Tunis et les sièges des gouvernorats et délégations.

Une situation qui n’augure rien de bon pour l’année 2024 qui s’annonce encore plus difficile aussi bien pour les fonctionnaires que pour les pensionnaires, en l’absence notamment de mesures supplémentaires susceptibles d’améliorer leur pouvoir d’achat, d’autant que, et comme l’a expliqué précédemment l’expert Ridha Chkondali, l’augmentation décidée n’a pas pris en considération l’inflation estimée à 8,3% en novembre 2023.

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