Il n’aura pas survécu longtemps à son 81e anniversaire. Lundi dernier, Khémaïs Chammari a quitté la scène dont il a su, à des moments-clé, occuper les devants. Mon propos, ici, n’est pas de faire l’éloge funèbre d’une figure emblématique, avec ses zones d’ombre et de lumière. Ce n’est pas l’endroit pour un tel exercice qui requerrait bien davantage d’espace mais, surtout, parce que je n’aurai pas été assez familier du personnage pour m’y livrer avec assurance. Mon but est bien plus modeste : partager avec mon lecteur de rares et brefs épisodes que j’ai vécus en sa compagnie et qui pourraient éclairer certains aspects du personnage.
Ma première rencontre avec Khémaïs remonte au mois de février 1972. Pour les aînés, cette date rappellera le souvenir de graves troubles survenus à l’université de Tunis, alors naissante, et qui se sont propagés dans tous les établissements d’enseignement secondaire du pays. L’origine du mouvement était le coup de force opéré par les étudiants destouriens contre l’Union générale des étudiants tunisiens (Uget) dont ils ont pris la direction de manière illégale. J’étais alors en année de licence en sociologie à la Sorbonne et Khémaïs en sa dernière année au Centre d’études financières, économiques et bancaires à Paris. Une assemblée générale convoquée au siège de l’Association des étudiants nord-africains en France (Aemnaf) a réuni un fort contingent d’étudiants tunisiens parmi lesquels la figure indéniable charismatique de Chammari, alors en rupture de ban avec le groupe Perspective dont il avait été l’un des fondateurs. Je me souviens qu’il a interpellé des détracteurs qui raillaient l’«étudiant attardé» qu’ils voyaient en lui, leur disant : «Oui, je suis encore étudiant à mon âge. Et vous savez pourquoi», faisant allusion aux trois séjours en prison qu’il avait effectués en raison de son opposition au régime de Bourguiba.
Plus tard, nous nous sommes retrouvés dans l’équipe de rédaction de l’hebdomadaire le Phare fondé par feu Abdejélil Bahi. Là j’ai pu mesurer le dynamisme du personnage, son entregent et l’étendue de son réseau de relations qui l’ont rendu quasi indispensable à la marche du journal. Son audace, surtout, qui l’a conduit un premier juin de 1980, à nous faire publier en «Une» la photo du retour triomphal de Bourguiba au 1er juin 1955 et, à côté, celle du retour, quelques mois plus tard, de son grand rival, Salah Ben Youssef. L’article qui a accompagné ces documents fait l’éloge du Combattant suprême mais suggère aussi que, peut-être, le temps de la réconciliation entre les Tunisiens était venu. C’en était trop pour un régime devenu totalitaire. Le Phare était suspendu pour 6 mois et El-Bahi, soupçonnant Chammari d’œuvrer au profit d’Ahmed Mestiri, alors sur le point de former son Mouvement des démocrates socialistes (MDS), rompait avec lui.