Les affaires de corruption se succèdent, animant la scène politico-médiatique et judiciaire. Il ne se passe pas une semaine sans qu’un haut responsable, et, souvent, ses proches collaborateurs, ne soient déférés devant le parquet. Cette sorte de crise morale semble traverser la communauté nationale de part en part.
Il y a quelques jours, les Affaires sociales ont annoncé le retrait de 62 mille cartes de soins gratuites à des bénéficiaires non légitimes ! Il ne s’agit pas de 1.000 ou de 10 mille, mais de plus de 60 mille personnes qui bénéficiaient de services, en l’occurrence, de couverture sociale, auxquels elles n’avaient pas droit.
Ainsi, il n’y a pas que les riches qui prennent des libertés avec les deniers publics et s’octroient des avantages indus, également les fonctionnaires et autres professions libérales censés composer le socle de la classe moyenne. Mais aussi les plus démunis, pour lesquels on est presque tenté de trouver des justifications. Le dicton dit quand un homme vole pour calmer la faim, on ne le méprise pas.
Cela étant, la question interroge les valeurs morales fondatrices d’un peuple idéalisé dans sa globalité. Or, ces valeurs semblent se dissoudre de jour en jour dans le laisser-aller et le laisser-faire. Tout est devenu normal ; l’écolier qui fraude, l’enseignant qui s’absente, le fonctionnaire qui déserte régulièrement son poste, l’infirmier qui subtilise les médicaments gratuits et le directeur qui s’octroie des privilèges illégaux. L’image que renvoie la société tunisienne d’elle-même n’est pas reluisante. Et cette « bonne » réputation de ces « filous » de Tunisiens semble avoir traversé les frontières. Nous sommes connus, paraît-il, à l’échelle internationale par un sens très spécial des affaires qui ferait fuir les plus avertis de nos partenaires étrangers.
Ces valeurs fondamentales qui façonnent une société et lui servent de boussole semblent péricliter peu à peu. L’excuse trouvée, justifiant tout ; «c’est ça la Tunisie». Autrement dit, on n’y peut rien. Il faudra accepter cet état de fait, le légitimer presque. Cherchez la raison ? Il y en a plusieurs. Les régimes politiques qui se sont succédé y sont pour beaucoup dans cet échec moral généralisé. Les dirigeants de ce pays, censés servir d’exemple d’intégrité, ont montré, pendant de longues décennies, qu’il est «normal» de voler l’argent public et de fouler aux pieds les principes d’intérêt général. Tant et si bien que ces pratiques immorales et illégales sont devenues synonymes d’intelligence et de sens de la débrouille. Chacun à son niveau fait comme il peut.
Cette responsabilité d’éduquer et d’inculquer les valeurs fondamentales était exercée autrefois par la famille, par l’école et par les médias. Reconnaissons que ce n’est plus le cas. Depuis, ces principes qui doivent soutenir la communauté nationale, nourrir l’identité collective semblent s’égarer en chemin. Ajoutons à l’adresse des concepteurs des contenus scolaires que cette heure orpheline d’éducation civique n’a visiblement servi à rien.
Que faire ? Toute la responsabilité incombe, une fois de plus, à l’école mais aussi aux familles. Les deux milieux, familial et scolaire, sont censés eux-mêmes être détenteurs de valeurs solides pour pouvoir les transmettre à leur tour. Ce qui est loin d’être évident. Admettons que ce soit le cas. Et pour espérer éduquer et préparer les enfants à devenir de bons citoyens tunisiens loyaux envers leur communauté et envers leur pays, il faudra leur inculquer l’intégrité morale d’abord en milieu scolaire. Celle-ci se définit par l’intégrité intellectuelle qui se construit sur des valeurs de respect, d’honnêteté, de rigueur au travail, d’autonomie et d’empathie envers les autres. En cette période des grandes réformes, il est temps de s’y pencher sérieusement.