La Tunisie accuse un retard dans le développement du paiement électronique par rapport à ce qui se fait de par le monde. Même les Tunisiens y demeurent peu accoutumés.
Le paiement électronique est défini comme étant tout paiement réalisé sur internet ou via un réseau de télécommunications. On parle alors de paiement mobile. Un paiement électronique peut être effectué via une carte bancaire sur un terminal de paiement installé chez le commerçant ou sur son PC avec une connexion internet pour accéder au site marchand ou sur son smartphone à travers l’application du commerçant.
Selon les experts, la Tunisie accuse un retard dans le développement de ces méthodes de paiement. Neyer Memmi, formateur et expert en monétique, nous explique les causes de ce retard. Il explique que «chez-nous, l’avènement de la monétique est apparu grâce au tourisme. Ainsi, l’acceptation des cartes bancaires a précédé leur émission en Tunisie. En effet, les touristes détenteurs de cartes internationales étaient dans l’obligation de les utiliser. Ce n’est qu’après cela que les banques ont commencé à émettre des cartes de paiement et de retrait».
Un faible taux de bancarisation
Parallèlement, les banques tunisiennes ont commencé à développer tout un réseau d’acceptation, en installant des terminaux de paiement électronique chez les commerçants, dévoile Memmi. «Le constat est édifiant, il y a un retard de développement des paiements électroniques. Les statistiques ont, certes, évolué, mais elles demeurent en deçà des attentes par rapport à ce qui se passe dans le monde», note Memmi.
Selon lui, «plusieurs raisons expliquent cette situation. D’abord, l’émission des cartes est tributaire du taux de bancarisation, qui est encore bas en Tunisie. Cela a conduit les pouvoirs publics à mettre en place une stratégie d’inclusion financière, dont les paiements électroniques constituent un outil important. La deuxième raison est plutôt universelle, et elle ne concerne pas seulement le marché tunisien. «D’après les statistiques, les habitudes de paiement sont fortement influencées par l’aspect culturel. Et cette préférence pour l’utilisation de l’espèce existe dans de nombreux pays, y compris la Tunisie», affirme l’expert.
Il développe davantage son idée en expliquant que cette préférence est visible même lors de l’utilisation d’un instrument de paiement électronique. Les chiffres confirment que les retraits d’espèces sur les distributeurs automatiques des banques dépassent largement en nombre et en valeur les achats chez les commerçants. Aussi, dans le commerce électronique, la plupart des paiements sont effectués en espèces lors de la livraison à domicile.
Toujours d’après Memmi, la troisième raison qui freine le développement du commerce électronique concerne les commerçants eux-mêmes. D’une façon générale, les commerces de proximité ne sont pas unanimes quant à l’adhésion et à l’acceptation des cartes de paiement. «Un grand nombre de terminaux de paiements sont inactifs, en raison du montant élevé des commissions que certains commerçants compensent par une majoration sur les prix. Cette pratique est mal perçue par les clients qui évitent les paiements par carte».
L’expert en monétique donne une quatrième raison non moins importante qui entraverait le développement du paiement électronique, «la qualité du réseau de télécommunication», déplore-t-il. «Les transactions de paiement électronique nécessitent une bonne connexion au réseau internet. Et toute interruption, aussi minime soit-elle, peut compromettre la bonne fin de la transaction et causer des problèmes pour le client.
Le cinquième problème que rencontre le paiement électronique en Tunisie est lié à la culture financière des Tunisiens. «Ces derniers trouvent que les instruments de paiement électronique sont compliqués, en particulier pour le paiement mobile qu’ils jugent difficile à utiliser ou hors de leurs capacités en termes de pouvoir d’achat».
La sixième raison est relative au paiement mobile lui-même. Son acceptation n’est pas généralisée, ce qui affecte son utilité en tant que produit. Pour finir, la septième raison réside dans le cadre réglementaire des paiements électroniques. Celui-ci comporte des conditions contraignantes, certaines sont imposées par les standards internationaux (KYC-RGPD-PCIDSS) «KYC know your customer», d’autres légiférées au niveau national comme le montant de capital minimum pour les établissements de paiement ainsi que les soldes des comptes figurant dans les portefeuilles électroniques.
Solutions d’accélérer la cadence dans e-paiement
Neyer Memmi nous fait savoir que dans les paiements électroniques toute solution doit s’articuler autour de deux axes, «l’axe de l’émetteur et l’axe de l’accepteur. On ne peut développer un axe sans l’autre. Un autre paramètre crucial est que les acteurs concernés doivent converger vers le même objectif en favorisant la collaboration et la concertation. Les solutions suivantes peuvent accélérer le développement et la démocratisation du paiement électronique. Il faut également poursuivre les actions visant l’inclusion financière, avec un rôle important des pouvoirs publics. Il est par ailleurs, nécessaire que les émetteurs des instruments de paiements électroniques doivent vulgariser leurs produits et rendre l’expérience client plus simple et pratique».
Et de poursuivre ; «il est impératif d’inciter les commerçants à l’usage du paiement électronique en leur accordant des abattements fiscaux, des réductions de taux de TVA pour les articles payés par e-paiement et aussi les encourager à offrir des remises en cas de e-paiement. Les banques doivent élargir leurs domaines de prospection pour toucher de nouveaux secteurs qui ne font pas partie de leurs réseaux d’acceptation comme les petits commerces de proximité, les médecins, les moyens de transport.
Les émetteurs et les récepteurs doivent trouver des solutions techniques adéquates pour éviter les problèmes de connexion. Donc, il est obligatoire de multiplier les actions de culture financière».
D’ailleurs, l’observatoire de l’inclusion financière OIF vient de lancer une plateforme d’éducation financière destinée à rendre facilement compréhensible tout produit financier et instrument de paiement, y compris ceux électroniques. Les réglementations relatives aux paiements électroniques doivent être facilitatrices et en harmonie avec l’environnement tout en respectant les règles de sécurité, y compris celles internationales. Il est impératif de mobiliser toutes les parties prenantes en mettant en avant et en premier lieu les pouvoirs publics car ils disposent du pouvoir fédérateur nécessaire pour atteindre les objectifs.
Memmi nous explique qu’à ce sujet, plusieurs projets en cours pourraient contribuer à édifier cette démarche. Parmi eux, le projet de restructuration de la «SMT» et du «switch monétique mobile» ainsi que le projet de digitalisation des paiements des droits et taxes douanières. Il devient indispensable de s’adapter rapidement à cette évolution afin de maintenir sa compétitivité et de répondre aux attentes changeantes des consommateurs. L’incorporation de ces services ne se limite pas à l’amélioration de l’efficacité des transactions financières, elle constitue également un levier essentiel pour stimuler le développement économique en favorisant l’inclusion financière et en simplifiant l’accès aux services bancaires.
Sécuriser les transactions
«Les besoins des consommateurs sont profondément influencés par l’évolution rapide de la technologie, la mondialisation croissante et les nouveaux modes de consommation. Les consommateurs sont friands de solutions rapides, pratiques et sécurisées. Ils exigent des services accessibles n’importe où et à tout moment. Les solutions mobiles, les applications et les plateformes en ligne offrent cette flexibilité. Avec l’augmentation des transactions en ligne, la sécurité revêt de plus en plus d’importance. Les services financiers électroniques doivent intégrer des protocoles de sécurité robustes et fiables pour gagner la confiance des utilisateurs. L’utilisation de l’intelligence artificielle est désormais monnaie courante, elle permet l’analyse de données pour personnaliser les offres, suggérer des produits financiers pertinents et fournir des conseils personnalisés. Les solutions électroniques peuvent jouer un rôle crucial en élargissant l’accès aux services financiers, notamment pour les populations sous-bancarisées ou non bancarisées», assure l’expert.
«L’intégration des services financiers permet l’adaptation aux demandes émergentes des consommateurs, favorise l’agilité, la fluidité des transactions et le développement économique. Elle nécessite l’interconnexion des systèmes, l’adoption de technologies avancées, le concept d’open-banking, des plateformes numériques unifiées, la sécurité et la conformité, la sensibilisation des utilisateurs et l’innovation continue. Enfin, l’adoption de services financiers électroniques représente une réponse proactive à ces besoins, en développant des solutions à la fois modernes, flexibles et orientées client», conclut-il.