Home A la une Il y a 46 ans : Le « Jeudi noir »

Il y a 46 ans : Le « Jeudi noir »

 

Les émeutes du jeudi 26 janvier 1978 répondaient à un appel de grève générale lancé par l’Ugtt, plusieurs dizaines de milliers d’habitants des banlieues populaires de Tunis ont convergé vers la capitale et se sont répandus dans les quartiers du centre-ville. Bien que les incidents soient épars et ponctués de vandalisme, des coups de feu retentissent pour mater les foules dans le sang. Bilan : des dizaines de morts et des centaines de blessés. Les affaires relatives à ces évènements sont en cours d’examen par les chambres spécialisées de justice transitionnelle. Retour sur un évènement qui marqua l’histoire syndicale du pays.

Le « Jeudi noir » marque une rupture importante entre l’Ugtt et le gouvernement à l’époque. En effet, après une forte croissance économique entre 1970 et 1975, le pays connaît un ralentissement économique après un processus de libéralisation non contrôlé. Le chômage double, provoquant des manifestations d’étudiants et de travailleurs. Critique envers cette politique, l’Ugtt émerge comme la principale force d’opposition. Pour empêcher une crise, le gouvernement s’entend avec l’Ugtt le 19 janvier 1977. Celle-ci s’engage à contrôler les ouvriers en retour d’une augmentation des salaires pendant six mois, chaque fois que les prix augmenteraient de 5%. Mais alors que le gouvernement perçoit l’entente comme un pacte honoraire, et non un contrat, l’Ugtt considère qu’il s’agit de garanties. C’est pourquoi, aux yeux de l’Ugtt, le gouvernement n’a pas tenu parole. Cette mésentente, jointe à la chute de l’économie, mène à une tension et l’Ugtt hausse le ton.

Pour réduire les ténors du syndicat au silence, le 20 janvier 1978, le comité central du PSD vote une résolution réclamant l’épuration des « éléments perturbateurs » à la tête de l’Ugtt. Dans la foulée, le parti décide d’envoyer des milices les 22, 23 et 24 janvier, afin d’attaquer leurs locaux dans différentes villes, notamment à Tozeur et à Sousse.

Le 24 janvier, suite à l’arrestation d’Abderrazak Ghorbal, leader de la mission locale de l’Ugtt à Sfax, la centrale gronde. Place Mohamed-Ali à Tunis, Habib Achour, secrétaire général du syndicat, appelle à une grève générale les 26 et 27 janvier. Devant une foule de sympathisants, il déclare qu’« il n’y a de combattant suprême que le peuple », en référence au titre donné à Bourguiba. Ces propos, considérés comme une provocation, poussent la police à encercler le siège de la centrale dès le 25 janvier. Près de 200 dirigeants syndicalistes sont bloqués à l’intérieur. Le lendemain matin, Habib Achour téléphone à la Direction de la sûreté nationale et demande le retrait des forces de l’ordre. En cas de refus, il aurait annoncé que « Tunis brûlerait ».

La situation n’est plus sous contrôle : des milliers de travailleurs et de jeunes, parfois des chômeurs non affiliés à l’Ugtt, descendent dans les rues de Tunis. La grève se transforme en manifestations émeutières : les protestataires envahissent le centre-ville et les quartiers huppés. Les forces de l’ordre sont rapidement dépassées et les confrontations s’enveniment malgré l’instauration du couvre-feu. Les barricades, le saccage d’édifices publics et les voitures incendiées se multiplient.

La confrontation survient le 26 janvier alors que l’Ugtt appelle à la grève générale. Les forces de l’ordre tirent sur les émeutiers. Le bilan est lourd. Cette crise va révéler au grand jour la décrépitude d’un régime qui s’ankylose autour du culte du président à vie Habib Bourguiba et reste incapable de répondre aux aspirations de démocratisation de sa société.

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