Accueil Economie Supplément Economique Financement direct du Trésor par la BCT | Mohsen Hassan, ancien ministre du Commerce à La Presse : «Le financement direct du budget de l’Etat par la BCT est aujourd’hui inévitable»

Financement direct du Trésor par la BCT | Mohsen Hassan, ancien ministre du Commerce à La Presse : «Le financement direct du budget de l’Etat par la BCT est aujourd’hui inévitable»

 

Dans un entretien accordé à La Presse, l’expert économique Mohsen Hassan est revenu sur la question de l’indépendance de la Banque centrale qui alimente, depuis peu, le débat en Tunisie. Il estime que le recours à la planche à billets est, aujourd’hui, un mal nécessaire, une solution inévitable, car elle permettra au pays d’éviter le pire, c’est-à-dire une situation de défaut de paiement.

L’économiste Mohsen Hassan a rappelé que la notion de l’indépendance de la BCT a été instaurée à partir des années 70. Elle s’appuie sur un modèle monétariste qui établit une relation stricte entre la quantité de monnaie en circulation et le niveau général des prix. “Depuis les années 70 et selon cette école de pensée économique, l’indépendance de la Banque centrale est considérée comme étant la condition nécessaire et suffisante pour répondre aux objectifs de la politique monétaire, notamment le contrôle de la croissance de la masse monétaire et l’objectif final qui est la maîtrise de l’inflation”, a souligné l’expert. Il ajoute : ”Mais il faut rappeler qu’après la crise financière de 2008 et la crise du Covid, il y a un regain d’intérêt pour le modèle keynésien. Cela signifie que les banques centrales adoptent des politiques monétaires expansionnistes ou encore des politiques monétaires non conventionnelles, destinées à combattre la récession et le chômage.

Les outils de cette politique sont l’assouplissement quantitatif (le quantitative easing), l’assouplissement des conditions de crédits, le taux d’intérêt négatif et le financement direct des dépenses publiques (Helicopter money). Ce regain d’intérêt pour les politiques non conventionnelles confirme que la Banque centrale doit veiller sur la stabilité des prix tout en prenant en considération les problèmes auxquels s’expose le pays, en termes de croissance, de déficit budgétaire ou autres”.

La loi doit être votée, mais sous conditions

Hassan a, dans ce contexte, indiqué qu’avant l’adoption de la loi relative à l’indépendance de la BCT en 2016, le recours à la planche à billets s’effectuait d’une façon régulière sur une simple demande du pouvoir exécutif. “Après l’adoption de la loi 2016-35, le financement du trésor public se faisait par l’émission de bons de trésors, de bons de trésors assimilables (BTA) ou d’emprunts obligataires. Ces titres sont souscrits par les banques. Par la suite, ces mêmes titres sont achetés par la BCT qui crédite les comptes des banques auprès d’elle. Dans ce cas, le financement du trésor public n’est plus effectué directement, mais à travers les banques. C’est, en quelque sorte, une planche à billets déguisée”, a précisé l’expert. Il a ajouté qu’aujourd’hui, le financement direct du budget de l’Etat par la BCT est inévitable. Il a estimé, en ce sens, que le projet de loi autorisant la Banque centrale d’octroyer, au trésor public, des facilités d’un montant de 7 milliards de dinars remboursables sur trois ans avec trois années de franchise doit être voté afin de surmonter l’impasse budgétaire. “Cette opération est, sans doute, indispensable pour financer le déficit budgétaire. Mais ce financement doit être effectué selon des règles bien établies et des critères bien définis, en parfaite coordination avec les politiques économiques du pays. Je soutiens l’idée de l’indépendance de la Banque centrale. Mais cette indépendance ne doit pas aller à l’encontre de l’implication de la Banque centrale dans le processus d’une relance économique urgente. C’est pourquoi il y a lieu d’amender l’article 25 de la loi 2016-35 afin de permettre à la Banque centrale de financer directement le trésor public, mais tout en tenant compte de plusieurs conditions”, a-t-il indiqué.

Et de poursuivre : “La première condition, c’est que ce financement ne doit pas être sans limites. Une étude comparative englobant les cas marocain et égyptien et même certains pays européens souligne l’importance de fixer cette limite par la loi. Ainsi, le financement direct peut être limité à 5% des recettes budgétaires de l’année passée. A titre exceptionnel, on pourra même aller à 10% pour les trois années à venir, soit à peu près quatre milliards de dinars. La deuxième condition concerne l’utilisation de ce financement. Ces financements doivent être alloués à la création de richesses et aux investissements publics afin de réduire les pressions inflationnistes”.

Des réformes qui urgent

Hassan a affirmé, qu’aujourd’hui, la Tunisie n’a pas d’autres choix, étant donné qu’elle doit honorer ses engagements.  “Le 17 février, nous devons rembourser un emprunt obligataire d’à peu près 750 millions de dollars arrivé à échéance. En l’absence d’un accord avec le FMI, la Tunisie doit trouver une solution immédiate, en l’occurrence le recours au financement intérieur et notamment le financement direct par la BCT. On n’a pas d’autres choix. Je pense qu’il est judicieux que la Tunisie honore ses engagements extérieurs et évite le défaut de paiement malgré les conséquences négatives de ce choix. Il est clair que cette opération entraînera : de l’inflation, une baisse de nos réserves en devises —le gouverneur a mentionné une baisse de 14 jours d’importation— et une dépréciation du dinar”, a-t-il souligné.

Et l’expert d’affirmer : “La politique économique et monétaire n’est qu’un ensemble de choix et de priorités. Je pense qu’il faut prioriser le remboursement des dettes extérieures. L’inflation et la baisse du taux de change peuvent être gérées, mais si on n’arrive pas à rembourser cette échéance, ce sera le chaos total”. L’ancien ministre du Commerce a, cependant, souligné que parallèlement à l’amendement de la loi relative à l’indépendance de la BCT, des réformes économiques doivent être entamées en urgence. Ces réformes touchent tous les secteurs, y compris le secteur financier. “Nous avons besoin de réformer notre système financier qui traverse, actuellement, une mauvaise conjoncture. Ses indicateurs ne sont pas au beau fixe. Il faut transformer tout le système de financement de l’économie, notamment le capital investissement, le private equity, le capital-risque, le système bancaire classique ou encore la Bourse. Ces réformes sont indispensables, afin de limiter le recours au financement direct et à l’endettement intérieur ou extérieur. Elles visent essentiellement à créer de la richesse et à augmenter le taux de croissance par le biais de l’investissement, du commerce extérieur et de la consommation et à générer plus de ressources fiscales”, a-t-il conclu.

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