La Tunisie, l’un des cinq premiers producteurs mondiaux d’huile d’olive, se trouve à un tournant décisif. L’industrie oléicole du pays, source vitale pour la stabilité économique et manne de devises étrangères, est confrontée à des défis qui pourraient impacter son avenir.
Avec l’essor de l’agriculture hyperintensive utilisant des variétés d’olives et des méthodes espagnoles et grecques, la Tunisie a vu ses niveaux de production et les profits des grands investisseurs augmenter. Toutefois, ce nouveau succès se heurte à plusieurs obstacles.
L’oléiculture est profondément ancrée dans le paysage agricole tunisien, avec plus de 300.000 producteurs et environ 1,7 million d’hectares d’oliviers. Cette vaste zone de culture couvre 35% des terres cultivables tunisiennes, ce qui en fait l’activité agricole la plus importante en termes d’exploitation des terres.
L’oléiculture est également une source importante d’emplois directs et indirects. D’ailleurs, pendant la saison des récoltes (novembre-Février), les femmes et les jeunes trouvent souvent un emploi temporaire dans le secteur.
Un grand manque à gagner
Pourtant, une grande partie des récoltes est importée par des entreprises européennes sans que le lieu d’origine soit mentionné ou reconnu.
Ce défaut d’étiquetage est dû au fait que les huiles d’olive tunisiennes sont souvent sous-évaluées et que les consommateurs ont tendance à préférer les marques européennes bien établies. Or, du point de vue qualitatif, les produits tunisiens sont les mieux cotés. «Ce problème d’étiquetage est important, notamment parce que les consommateurs payent souvent pour avoir de l’huile d’olive extra-vierge. Or, ils reçoivent des huiles de moindre qualité», de l’avis de l’économiste Moez Hdidane. Pour lui, les variétés d’huile d’olive tunisiennes telles que Chétoui, Sayali et Chemlali ont un potentiel important et ont à maintes reprises fait montre de leur suprématie gustative par rapport aux variétés espagnoles et grecques.
«Ces dernières années, en Tunisie, bon nombre d’agriculteurs et investisseurs optaient pour les variétés espagnoles qui ont été de plus en plus plantées du fait de leur croissance rapide, mais qui ont une durée de vie ne dépassant pas 30 ans», explique l’expert économiste.
Le Chemlali, fait observer le professeur universitaire, est une variété locale très productive, en mesure de tenir la dragée haute aux variétés grecques et espagnoles qui exercent une pression accrue sur nos ressources hydriques. «Compte tenu des vagues de sécheresse affectant le pays et dues au changement climatique, il est peu probable que les variétés espagnoles et grecques aient un avenir sous nos cieux», pense notre interlocuteur.
Sur un autre plan, le même expert note que «les huiles d’olive tunisiennes ne cessent de s’affirmer sur le marché britannique sous leur propre nom, séparément des mélanges internationaux, depuis 2017. Sauf qu’il reste encore beaucoup à faire pour accroître la notoriété et la reconnaissance des huiles d’olive tunisiennes sur ce marché prometteur.
Commercialisation : des progrès à consolider
Malgré les difficultés liées à la commercialisation de certaines nouvelles marques sur les marchés internationaux, les entreprises tunisiennes ont réalisé des progrès significatifs en misant sur la qualité, au cours des dernières années et en participant activement à des concours internationaux pour ainsi remporter des prix prestigieux.
Dans la même optique, l’autorité de tutelle et le reste des parties concernées sont appelés à assouplir les mesures afin de mieux ouvrir le secteur des exportations et éviter la monopolisation de cette activité par une minorité qui cherche encore à verrouiller l’accès aux jeunes promoteurs.
Les exportations de ce produit vital représentent 90% de la production et rapportent annuellement 3 milliards de dinars en devises, selon le ministère du Commerce.
L’autre défi qui se pose au secteur de l’oléiculture en Tunisie se rapporte au changement climatique et au stress hydrique qui compliquent davantage la production d’huile d’olive en Tunisie et dans d’autres pays méditerranéens. «La sécheresse et le manque de main-d’œuvre continuent de poser des défis importants à l’industrie, faisant grimper le coût de l’huile d’olive. Alors que le gouvernement tunisien soutient les grands producteurs, les petits producteurs rencontrent des difficultés pour accéder au soutien nécessaire», se désole l’économiste.
Force est de constater, au demeurant, que l’ensemble de l’Europe du Sud, y compris l’Espagne, premier producteur mondial d’huile d’olive, est confronté à sa propre crise en raison de fréquentes vagues de chaleur. Là-bas, la récolte risque d’être mauvaise pour la deuxième année consécutive, ce qui risque d’entraîner des ruptures dans les rayons et des prix encore plus élevés. D’où la nécessité pour la Tunisie de penser l’avenir d’un secteur hautement stratégique, en instituant un vrai plan d’action sur les court, moyen et long termes.
Selon des données officielles, la Tunisie dont la récolte de 2023-2024 est estimée à 180.000 t, compte plus de 100 millions d’oliviers et 75% de ces oliveraies sont productives. Elle compte également 1.750 huileries, 15 unités de raffineries, 35 unités de transformation et de conditionnement, tandis que la production d’huile d’olive frôle les 194.000 t et les Tunisiens consomment environ 20% de la production d’huile d’olive.
La consommation annuelle moyenne par individu est passée de 8,2 kg en 2000 à 6,7 kg en 2010 et à 3,7 kg en 2020, année des dernières statistiques. Ce dernier chiffre constitue le niveau le plus bas de la région méditerranéenne par personne, contre 9,2 en Italie, 10,4 en Espagne et 16,3 kg en Grèce.