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Ramadan – Approvisionnement du marché | Lotfi Khaldi, vice-président de l’organisation de défense du consommateur à La Presse : «La pénurie actuelle des produits de première nécessité n’aura pas d’impact sur la demande du consommateur»

 

Le mois sacré de Ramadan apporte avec lui une ambiance de spiritualité, de partage et de festivités en Tunisie. Cependant, ces traditions sont souvent accompagnées de défis économiques, notamment en ce qui concerne l’approvisionnement du marché, les pénuries de produits de base et l’inflation. Cette année, comme les précédentes, la question de la maîtrise des prix reste également cruciale.

Tout comme en 2023, le spectre des pénuries des produits de base se poursuit à l’approche du mois de Ramadan à forte consommation. Comment expliquez-vous cette situation qui se prolonge d’une année à l’autre ?

Le consommateur tunisien connaît depuis 2021 une situation exceptionnelle de l’offre des produits de première nécessité. Cette situation est marquée par une pénurie en produits les plus demandés par le consommateur ordinaire, tels que les semoules, le sucre, le café, le lait demi-écrémé et l’huile végétale à bas prix. D’autre part, la situation est marquée également par une flambée des prix de certains produits de base pour tout ménage, à savoir l’huile d’olive dont le prix de vente en Tunisie s’est multiplié par quatre depuis 2020, celui des produits de nettoyage s’est multiplié par trois depuis 2019, quelques catégories de fruits et légumes comme les pommes, les piments, les tomates et les citrons, dont les prix ont atteint depuis 2020  des valeurs exorbitantes non abordables par un consommateur à revenu moyen.

La situation s’est prolongée depuis plus de trois ans, et s’est transformée d’une situation conjoncturelle liée à  une crise économique sur le plan international et national suite à une crise chronique qui nécessite des mesures stratégiques. Pour le mois saint qui débarquera dans quelques jours, la nature de la demande est spécifique. Le comportement du consommateur est un peu étrange et exceptionnel. On a constaté durant les années antérieures que la consommation des différents produits connaît des pics énormes. La consommation des œufs a enregistré une augmentation de 350%, le pain non subventionné 200%, le thon 300% voire 400% entre 2009 et 2011, les dattes 200%, les huiles végétales 150%, les feuilles de malsouka 360%.

D’après les taux enregistrés, on remarque que la pénurie actuelle des produits de première nécessité n’aura pas d’impact sur la demande du consommateur qui sera caractérisée par un changement structurel durant le mois de Ramadan. Par contre, la dépréciation du pouvoir d’achat du consommateur appartenant à la classe moyenne aura une influence négative sur sa capacité de subvenir à ses besoins essentiels.

Concernant les prix, comment peut-on limiter leurs augmentations ? Comment peut-on contrecarrer l’inflation galopante pour préserver le pouvoir d’achat des citoyens ?

Concernant l’encadrement des prix des produits de première nécessité pour les ménages, j’ai déjà annoncé que l’Etat devra prendre des mesures stratégiques qui tiendront compte de la situation mondiale actuelle de l’offre des produits agricoles tels que le blé, les viandes rouges, le sucre et les huiles végétales.

Parmi les mesures stratégiques urgentes à prendre, la mise en place d’un plan visant l’atteinte de l’autonomie alimentaire du pays d’ici 2035, tout en passant par une politique de gestion des eaux pluviales et le renforcement de la chaîne des stations de dessalement de l’eau de mer, une politique de gestion des terres agricoles et une politique de programmation de la culture sur tout le territoire de la République.

En attendant, et dans le cadre de l’atténuation de l’effet de l’inflation, de la flambée des prix et des manœuvres de détournements des produits subventionnés, le ministère du Commerce est appelé à renforcer les opérations de contrôle durant le mois saint et d’assurer une offre satisfaisante pour les produits les plus demandés par le consommateur au cours du mois saint. Les expériences de l’organisation de défense du consommateur durant des décennies ont montré que la plupart de nos marchands ne respectent les lois et les règlements qui régissent le commerce et qui protègent le consommateur qu’en présence d’un contrôleur, n’affichent les prix que si le contrôle va passer, un comportement post-révolutionnaire commun à tous les Tunisiens.

D’après vous, comment veiller au bon déroulement des marchés, à la fluidité des circuits de distribution et sur la transparence et la régularité des pratiques commerciales et lutter contre les manœuvres spéculatives?

Pour veiller au bon déroulement du marché durant ce mois saint, je suggère que le ministère du Commerce renforce les mesures classiques qu’il a l’habitude de prendre et qui consisteront à maintenir le ravitaillement des marchés municipaux de produits agricoles de première nécessité durant la première semaine du mois de Ramadan, et ce, à travers la limitation du marchandage clandestin et l’orientation des produits transportés vers les marchés de gros et les marchés municipaux, par le biais des différentes brigades tout le long de notre réseau routier. Multiplier les brigades de contrôle pourra rassurer le consommateur, atténuer son attitude inflationniste et éviter les tentatives de gonflement des prix durant les premiers jours du mois de Ramadan.

Il est nécessaire également d’assurer un certain équilibre entre les régions concernant l’offre de certains produits pour le mois de Ramadan, tels que les œufs, les viandes, le lait, le sucre, les semoules et les légumes  qui constituent les biens les plus demandés durant ce mois saint.

La Tunisie manque de blé. En effet, 95% des céréales consommées en 2023 sont importées, une conséquence des politiques agricoles axée sur l’exportation au détriment des cultures essentielles à la sécurité alimentaire. Cette dépendance aux importations expose la population aux caprices des marchés mondiaux. L’importation des semences et des plants est-elle une menace pour notre souveraineté alimentaire ?

La souveraineté alimentaire est devenue, aujourd’hui, une question de sécurité nationale. Depuis une décennie, l’effet des changements climatiques dus au phénomène de réchauffement de la terre est devenu plus visible pour notre agriculture. Notre climat est passé du semi-aride en zone aride, la grande culture basée sur l’eau pluviale n’est plus possible aujourd’hui dans les régions les plus fertiles au nord du pays. Les réserves en eau sont devenues de  plus en plus limitées pour assurer à peine les besoins  domestiques en eau potable. On aurait dû penser à  un plan de sauvetage et à une stratégie agricole durable depuis des années, comme toutes les nations qui s’inquiètent pour leurs générations futures. Aujourd’hui, on est face à une crise hydrique, une crise qui menace directement les caisses de l’Etat et les équilibres budgétaires du pays. Au lieu d’investir dans de grands projets d’infrastructure et de recherche de développement, on est obligé de dépenser notre budget pour importer nos besoins essentiels en produits agricoles en devises à des prix exorbitants par les crises et les conflits militaires dans les différents coins du monde.

De plus, l’Etat continue de subventionner  des produits de première nécessité importés pour soutenir le pouvoir d’achat érodé de la majorité des ménages tunisiens. La mise en place d’une nouvelle politique hydrique et d’un nouveau système de production agricole adéquat à notre situation est devenue une priorité absolue.

La solution la plus logique est dans la multiplication des stations de dessalement des eaux de mer. Il nous faudra au moins une dizaine de stations en plus des trois existantes, nous avons un atout naturel extraordinaire, un littoral de plus de 1.300 kilomètres qui permet de couvrir tout le territoire de notre pays. Nous avons aussi un autre atout naturel énorme qui nous permet de produire l’énergie pour tourner ces stations énergivores, à savoir l’énergie solaire. Nous n’avons pas la capacité financière pour installer ces stations de dessalement, certes, mais nous pouvons compter sur le soutien des pays amis qui pourraient nous aider à les installer contre l’usufruit sur un plan de 15 ou 20 ans. Les solutions existent, mais il nous faudra la volonté, la stratégie et la bonne exécution, il nous faudra essentiellement la volonté d’agir uniquement pour le bien de notre pays.

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