Les artisanes kairouanaises sont confrontées à de nombreuses difficutés : cherté de la matière première, problème de distribution et d’écoulement sur le marché… Certaines ont fini par abandonner leur métier pour aller travailler dans les champs.
Dans le gouvernorat de Kairouan, le travail du tapis demeure la plus grande activité artisanale exclusivement féminine et qui se fait essentiellement dans les maisons. Au total, plus de 16.000 artisanes vivent de la fabrication du tapis, un artisanat vivant et créatif, entre la Alloucha (tapis de haute laine d’agneau et aux coloris discrets et naturels), les polychromes aux couleurs plus variées et le mergoum (laine tramée avec un fond uni et des motifs géométriques à plusieurs nuances).
En fait, le tapis de référence en Tunisie est le classique de Kairouan qui doit beaucoup à l’influence turque de la période beylicale puisqu’il aurait été introduit à Kairouan, en 1830, par Kamla, la fille du gouverneur turc. Et il comprend généralement un champ central de forme hexagonale et des bandes d’encadrement où alternent motifs géométriques et floraux stylisés illustrant les liens existants entre l’architecture islamique et le tissage traditionnel.
Par ailleurs, la qualité finale du tapis s’évalue à la densité des points au m2, au serrage des lignes transversales, à la perfection géométrique des motifs décoratifs. Et c’est l’ONA qui assure le contrôle technique en décernant un label officiel à chaque tapis qui indique les dimensions de la pièce, sa texture et sa date de création. En outre, le critère pris en compte lors de l’achat d’un beau tapis, c’est le nombre de nœuds au mètre carré qui indique la résistance de la pièce ainsi que la finesse des motifs décoratifs.
Notons dans ce contexte que la région de Kairouan produit 30% de la production nationale de tapis et de mergoums. D’ailleurs, dans la plupart des zones rurales du gouvernorat de Kairouan, des ateliers de tissage abritent le travail d’artisanes aux mains expertes. En outre, juste à l’entrée nord de Kairouan, les visiteurs peuvent admirer le monument du tapis en céramique qui met en relief la perfection géométrique des dessins et des motifs décoratifs du tapis Alloucha aux tons doux et naturels.
Baisse de la production
Malgré tout, on a enregistré au cours des deux dernières décennies une baisse de la production à cause de l’augmentation du prix de la matière première, de l’exploitation des artisanes par des intermédiaires peu scrupuleux et du problème de distribution. Si dans les années 80-90, on fabriquait 40.000 tapis par an, de nos jours, on n’en crée que 5.000. Cela nous l’avons constaté en nous rendant récemment au souk des tapis «Rabaâ», situé en plein cœur de la Médina. L’ambiance était animée grâce à la vente aux enchères de beaux modèles de tapis, polychromes dont la ville est devenue l’initiatrice. Hechmi Haddji, un commerçant de tapis nous interpelle: «Auparavant, il y avait au sein de ce souk une vingtaine de dallalas et on vendait plus de 30 tapis, par jour. Aujourd’hui, il n’y a plus que 3 dallalas et on vend 4 à 5 tapis par jour…» Madame Khadouja Jaballah, une artisane originaire d’El Ala, a vendu son tapis premier choix et de dimension 2,2 X 1,4 m à 750 dinars et son mergoum de premier choix et de dimension 1,2 X 1,5m à 350 dinars : «C’est peu rentable .
J’ai mis trois mois pour réaliser ces deux articles. De plus, j’ai dépensé beaucoup d’argent pour l’achat de la matière première qui est devenue très chère.
Le seul débouché pour la plupart des artisanes, ce sont les foires et les expositions annuelles où on peut écouler une bonne partie de notre stock. Face à la régression de leur pouvoir d’achat, beaucoup d’artisanes ont opté pour le travail agricole avec des déplacements non sécurisés…» Chiraz Allani, une diplômée des Beaux-Arts, estime que pour promouvoir la commercialisation des articles des artisanes, il faudrait approvisionner les artisanes en matières premières de qualité conforme aux normes, en facilitant la commercialisation des tapis artisanaux à travers la vente en ligne et en accordant davantage d’importance à la formation et à la créativité…