Notre propos d’aujourd’hui est de savoir comment ces migrants vivent-ils le mois de Ramadan parmi nous ? Tiennent-ils le coup ? Profitent-ils des bienfaits de l’extraordinaire élan de solidarité qui s’est emparé du pays à l’occasion du mois sacré ? Témoignages.
L’on sait que la Tunisie a connu, tout au long de ces dernières années, des vagues successives de migration subsaharienne d’une ampleur sans précédent. L’on sait aussi que, même si le nombre réel des arrivées échappe à un recensement complet et fiable, le nombre de migrants est approximativement estimé à des centaines de milliers qui ont afflué majoritairement de sept pays.
«Comptabiliser tout ce beau monde est quasiment impossible», concèdent les autorités compétentes et les ONG qui attribuent ce défaut au rythme incessant des arrivées clandestines. Il serait, peut-être, inutile de revenir sur le tollé provoqué par cette fulgurante vague qui a, entre autres répercussions, donné lieu à une guerre des tranchées entre ceux qui sont pour et ceux qui sont contre.
Cependant, notre propos d’aujourd’hui est de savoir comment ces migrants vivent-ils le mois de Ramadan parmi nous ? Tiennent-ils le coup ? Profitent-ils des bienfaits de l’extraordinaire élan de solidarité qui s’est emparé du pays à l’occasion du mois sacré ?
Pourquoi le mois saint ne dure-t-il pas douze mois ?
Une première constatation de poids se dégage du reportage que nous avons effectué auprès de certains d’entre eux basés dans le Grand Tunis, à savoir qu’ils sont majoritairement satisfaits de leurs conditions. Puisque pour le moment et à la faveur du mois sacré, ils sont pris en charge.
Joseph Kofodja, 24 ans, jeune Camerounais qui travaille dans un café de la capitale, semble s’y plaire. «Depuis, se remémore-t-il, mon arrivée il y a huit mois à Sfax, via une embarcation partie de Libye, j’ai enduré de très rudes épreuves, à tel point que j’ai failli crever de faim…jusqu’au jour où j’ai décidé de jouer le tout pour le tout, en faisant le grand voyage vers Tunis. Dieu merci, j’ai été rapidement embauché par un cafetier pour devenir un salarié comme les autres».
Pour Joseph, devenu friand de cuisine tunisienne, «j’aime le mois de Ramadan, parce que je suis musulman pratiquant. Mais, cette année, je l’ai aimé un peu plus qu’avant, car il m’a permis de faire des économies, en mangeant aux restos humanitaires aux frais de la princesse», a-t-il ajouté tout sourire, avant de pousser la plaisanterie au point de se demander laconiquement pourquoi le mois saint ne dure pas douze mois ! Heureux, notre interlocuteur l’est forcément, tout comme Marie Dobbe’, 25 ans, autre titulaire à part entière dans un resto de ramadan ouvert aux migrants et sans abri à l’Ariana. Cette Ivoirienne qui affirme être une folle admiratrice du plus célèbre footballeur du pays, Didier Drogba, gagne pourtant bien sa vie dans un centre d’appels. «J’y vais, confie-t-elle, en compagnie de quatre de mes compatriotes. Merci aux Tunisiens pour leur générosité», lance-t-elle heureuse. Pour sa part, Smaila Traoré, un Tchadien de 19 ans, est reconnaissant. «Ces restos, indique-t-il, nous apportent réconfort et soulagement, outre le fait que j’y ai agréablement découvert une savoureuse cuisine.»
Certains ont voulu rentrer chez eux
En revanche, c’est la gueule de bois auprès d’autres. En attestent leur comportement sur la voie publique et les posts incendiaires et parfois vulgaires diffusés sur les réseaux sociaux. Joël Mansouro en est un exemple. Âgé de 36 ans, vendeur à la sauvette du côté de Ben Arous, cet ex-chômeur qui a migré de son pays natal, la Guinée, nous confie : «OK, on ne remerciera jamais assez la Tunisie pour ce qu’elle nous fournit depuis des mois en matière de soutien humanitaire. Certes aussi, tout est réglo dans vos restos où on mange bien et, par-dessus le marché, gratuitement. Mais, moi je pense à l’après-Ramadan. Alors je me demande si les responsables tunisiens seront en mesure de nous sauver d’une manière ou d’une autre des affres de la marginalisation». Pour y voir plus clair, il n’y a pas mieux que la réponse du Croissant-Rouge tunisien (CRT), principal gestionnaire de la prise en charge des migrants subsahariens, qui précise que plusieurs contingents de ces migrants ont été évacués ces derniers mois vers leurs pays d’origine, et cela dans la transparence et selon leur propre gré.
Ceux qui ont refusé de rentrer au bercail n’ont qu’à assumer la responsabilité et les conséquences de leur acte. Et c’est vrai, puisque l’un de ces déserteurs a récemment fait circuler sur Facebook une vidéo dans laquelle il a fait part de son grand regret d’avoir boycotté ces convois du retour.
Par ailleurs, des organisateurs de restos ramadanesques dépendant d’ONG et de particuliers ne cachent pas leur gêne «face à la multiplication des cas d’indiscipline parmi les clients subsahariens dont certains usent de pratiques inadmissibles, en violation des droits des habitués de l’établissement.»
Faudrait-il leur imposer des restrictions pour empêcher que le désordre s’installe? «Non, impossible de le faire», répond-on au CRT, sans doute au nom de la sacro-sainte solidarité ramadanesque.