IL aurait fallu y penser. Des rames de train et de métro hors d’usage ou jamais utilisées pour non-conformité sont immobi- lisées dans les entrepôts des entreprises publiques de trans- port. Des milliers de mètres ou de km à l’abandon. Personne ne connaît la quantité exacte sauf, sans doute, un petit cercle
d’initiés.
Des ferrailles défigurées dont les teintes ont viré du gris au
marron foncé et des caisses neuves vertes et blanches, déjà hors d’usage, sont livrées aux aléas de la nature. Pluie mais surtout soleil implacable, ce matériel jadis roulant, est maintenant tristement immobile, gisant dans l’entre-deux. Son sort n’a jamais été scellé. Il ne roule plus, ni n’a été démantelé pour être recyclé et valorisé. Des métaux ferreux ou non, acier, cuivre, zinc, chrome ou aluminium, matières premières largement utilisées dans l’industrie.
La question est pourquoi ? Eh bien, si on mettait de côté la mauvaise foi de quelques responsables, le mal a d’autres origines aussi vieilles que la jeune république tunisienne. Depuis l’édification de l’Etat nation, les décisions administratives étaient imbriquées
les unes dans les autres, les initiatives strictement contrôlées, les responsables se surveillaient. Un mode de gouvernance de l’époque. Mais les temps ont changé. L’administration, elle, est restée coincée dans le passé, dans ses vieilles précautions devenues anachroniques, dissuasives à force d’être lourdes et complexes.
En l’état, un responsable a le droit de craindre les répercussions de sa décision qui pourraient le mener tout droit aux geôles. De ce fait, les dossiers passent des années à pérégriner d’un département à l’autre, souvent même faisant de longues pauses à chaque étage du même ministère. Chacun renvoie la balle à l’autre, ne voulant assumer les effets de sa signature.
Le mal de la Tunisie peut être incarné par le conte de « Omi
Sissi ». Tous les acteurs sont liés les uns aux autres, sans que chacun soit en mesure, à partir de son poste et des attributions qui sont conférées, de prendre une décision qui soit appliquée efficacement et dans le temps, de manière à obtenir une réalité concrète.
Lorsque les financements des bailleurs de fonds sont décaissés, et que la mise en œuvre du projet, qui ne relève que de l’administration tuniso-tunisenne, est bloquée. Ce cas d’école incarne d’abord la lourdeur bureaucratique de l’appareil administratif de l’Etat. Ensuite, peut générer la perte des fonds. En effet, non déployés dans les délais, ils repartent souvent, selon les clauses du contrat, vers les caisses du donateur. Double peine !
Transférer les ferrailles des entreprises publiques de transport
à la société tunisienne de sidérurgie El Fouladh n’a jamais pu être
fait, parce que plusieurs ministères ainsi que la présidence du gouvernement devraient intervenir pour donner leur aval. De plus, il fallait amender les textes en vigueur ou en édicter de nouveaux. C’est le cas. Ahmed Hachani, présidant récemment un Conseil ministériel dédié au dossier, a ordonné l’élaboration d’un projet de décret pour rendre cette démarche possible. Laquelle, à l’origine, a été déclenchée par les visites non annoncées du Président de la République dans plusieurs entrepôts, en l’espace de quelques semaines.
La Tunisie a sans doute compris
que pour être attractive et pour que
ça commence à fonctionner, depuis le petit bureau de poste jusqu’à la haute administration, il faut changer les textes, responsabiliser les responsables, nommés pour leur compétence, expérience et intégrité, leur permettre d’accomplir leur devoir, leur accorder le droit d’initiative, en se dotant, évidemment, d’un système de reddition des comptes performant.