Esquisse : Mongi Bouras, ermite et sentinelle

1,777

 

Il y a exactement 19 ans et un jour, le 28 mars 2005, paraissait en dernière page de La Presse notre rubrique «Vadrouille» sous le titre «Sous le signe de la grâce». Cette semaine-là, nous effectuions une ultime vadrouille dans le gouvernorat de Gabès qui nous a conduits dans un village de crête, Tamezret, dont le toponyme à consonance typiquement berbère nous laissait espérer de belles découvertes. Notre déception fut très grande lorsque nous avons abordé par son versant-est une localité agrippée à un relief tout nu, poussiéreux et d’une banalité architecturale affligeante. Des lieux sans âme, nous avait-il paru. Nous nous étant tout de même aventurés à en parcourir la rue principale qui serpente parmi les habitations pour conduire tout en haut du village, nous nous sommes arrêtés pile devant une maison qui arborait une pancarte portant mention «Musée». On était médusés. Une blague de mauvais goût, en ces temps où, s’inspirant de l’expérience de Dar Chéraït, à Tozeur, des «musées» se sont mis à pousser comme des champignons à travers le pays ? Poussés par la curiosité, nous nous sommes enhardis à frapper à la porte de cette «institution». Un jeune homme affichant une sérénité toute monacale nous ouvre la porte, nous accueille avec une infinie amabilité et nous introduit dans un espace exigu, allongé, baignant dans la lumière crue du jour. Cette minuscule «cour» buttait contre une paroi rocheuse percée d’une ouverture tout juste suffisante pour laisser le passage à une personne. Vous prenant pour ainsi dire par la main, l’hôte, le conservateur, le guide —c’est le même !— vous introduit dans un monde, son monde, invisible pour le non-initié. A partir de là, c’en est fait de vous ; vous êtes sous l’envoûtement. Votre âme, libérée, voyage dans Tamezret, dans son passé consigné dans les signes et les symboles, dans les méandres d’une âme torturée et pourtant placide qui a inscrit dans la topographie des lieux, dans l’organisation de l’espace intime, une épopée à nulle autre pareille.

En langue berbère —amazigh, dira-t-on plus volontiers aujourd’hui— que continuaient à pratiquer de vieilles personnes sur place et que parle couramment notre guide, Tamezret veut dire «qui se voit de loin». Ce que justifie sa position topographique qui surplombe une large dépression désertique. Située à l’écart des grandes voies de communication et subissant un régime climatique aride, la localité n’a pas bénéficié de facteurs de développement susceptibles de l’inscrire dans une dynamique développementale. Bien au contraire. Aussi enregistre-t-elle un solde démographique négatif, réduisant sa population résidente à quelques centaines d’habitants, pour la plupart des personnes âgées et des femmes, les hommes migrant vers les villes à la recherche d’emplois ou pour y poursuivre leurs études.

(A suivre)

Laisser un commentaire