«Foufaâ» (Alerte à l’ouragan) d’Ibrahim Letaief : Un film choral

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Après «Cinecitta» (2009), «Hiz ya Wiz» ou «Affreux, cupides et stupides» (2014) et «Porto Farina» (2019), Ibrahim Letaief, qui se spécialise dans la comédie, veut instaurer «Le film de l’Aïd», une tradition qu’on retrouve sous d’autres cieux notamment en Egypte, aux USA et en Europe à l’occasion des fêtes de Noël et de la Saint Sylvestre. Autrement dit, des films de divertissement conçus spécialement pour les fêtes religieuses. «Foufaâ», le dernier-né du réalisateur, se place-t-il dans cette perspective ?

Il s’agit d’un huis clos avec quelques scènes filmées à l’extérieur dont l’idée est assez ingénieuse : réunir dans un seul espace un groupe de personnes qui ne se connaissent pas sur fond d’une alerte à l’ouragan. Cette faune d’hommes et de femmes va apprendre à se familiariser en vue d’une future union conjugale. Comment cette idée va-t-elle se développer dans un espace et un temps bien déterminés sans tomber dans un jeu théâtral et des scènes filmées de manière statique ? Tout l’enjeu est là. Un défi que le réalisateur doit relever sans perdre de vue qu’il s’agit d’une comédie aussi dramatique soit-elle ?

Le film commence par l’alerte à l’ouragan annoncée par Ghazi (Mohamed Grayaâ), un journaliste dans une chaîne de télévision qui défile entre les voitures pour annoncer l’éventuelle catastrophe. Ses interventions, dans des conditions difficiles, ponctuent tout au long du film. Dans une ferme située loin de la ville, la propriétaire Hassiba (Fatma Ben Saidane) d’une vieille demeure convertie en maison d’hôte, organise une soirée de célibataires afin d’éponger ses dettes et celles de son frère (Taoufik El Ayeb) qui veut sa part d’héritage. Pendant qu’elle prépare une mouloukhia qui prend du temps pour cuire, les invités arrivent l’un après l’autre.

Voici des personnages aussi différents les uns que les autres, réunis au cours d’une soirée pour trouver l’âme sœur. La femme enceinte (Rabiaâ Tlili) qui cherche un père pour son enfant, Khédija (Rym Ben Messaoud), Ghalia (Amira Derouiche), Mokhtar (Chedly Arfaoui), Atef (Maher Bouzidi) sont les principaux protagonistes de ce conclave sans oublier les personnages périphériques : Houcem Sahli ( chauffeur d’un camion de la municipalité), Nermine Sfar (victime d’un vol d’un collier en diamant), Beya Zardi (journaliste qui remplace Ghazi à la fin du film) et les deux jeunes actrices : Khouloud Jelidi, jouant le rôle de la fille de Hassiba, et son amie. Tous les invités grignotent, boivent un verre, discutent et s’informent de temps en temps de l’évolution de l’ouragan en attendant le plat principal à savoir la mouloukhia qui mijote encore sur le feu. Au fil des discussions, on apprend qu’ils ne révèlent pas leur propre identité, et ce, sans doute pour plaire au futur partenaire. La soirée, qui a démarré sur un ton allègre et léger, tourne au drame dès l’annonce d’un vol de collier d’une célèbre star.

Une scène du film «Foufaâ» d’Ibrahim Letaief

Et plus si affinités

«Foufaâ» est une comédie dramatique de 85 minutes dont le scénario, les dialogues et la réalisation sont signés par Ibrahim Letaief et produite par Long et Court du même auteur et FB Poductions de Fatma Nasser. Le scénario a bénéficié de 350.000 dinars d’aide à la production du ministère des Affaires culturelles. La musique est de Zouheir Gouja qui a déjà composé celle de «Porto Farina». Le film a nécessité deux années d’écriture et quatre semaines de tournage. Selon son réalisateur, les effets spéciaux ont constitué la grande difficulté notamment pour la création du vent ainsi que la post-production.

Un film choral, inspiré du néo-réalisme italien, dont l’objectif principal est de traiter un sujet sérieux en utilisant une approche comique et satirique. Or, ce but n’a pas été atteint. Les situations ne provoquent pas le rire malgré le jeu forcé des acteurs dont la plupart viennent du théâtre. Loin de tomber dans la mièvrerie, l’œuvre tout en symbole hésite à tourner en dérision le système politique, social et médiatique que vit le pays. L’histoire finit par se diluer et les affinités entre les personnages par perdre leur sens. Fallait-il plus d’audace de la part d’Ibrahim Letaief qui est resté coincé entre les deux genres : comédie et drame?

Les acteurs ont réussi à ne pas succomber au jeu théâtral. Le couple composé de Fatma Ben Saidane et Taoufik El Ayeb est juste. Rym Ben Massoud propose un jeu exagéré de la fille naïve et pleurnicharde, Amira Derouiche est peu convaincante dans son personnage de femme fatale qui jette son dévolu sur Mokhtar, Adel Bouzidi est resté un peu en retrait et c’est Chedly Arfaoui qui, avec sa bonhomie et sa masse corporelle, lui a volé la vedette. Mohamed Grayaâ est resté figé dans son personnage de journaliste.

Dans ce vase clos, les personnages, tels des animaux dans une ménagerie, essaient de délimiter leur territoire et de nouer des relations mais sans trop y parvenir, détachés du monde extérieur où l’ouragan baptisé Beya, à travers les bulletins transmis par les médias, les menace. Le film survole l’univers médiatique et les difficultés que vivent les journalistes dans la transmission des informations. Sans entrer dans trop de détails pour ne pas tout dévoiler du film, l’ouragan n’est qu’une fausse alerte et la fin du film est heureuse.

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