L’interdiction irrévocable des étals anarchiques dans la ville a été appliquée à la lettre, dès le 12 septembre dernier, et ce, sur instructions présidentielles. La ville de Tunis retrouve, depuis, son éclat, mais à quel prix ? L’état des lieux.
Il faut dire que les économistes et les décideurs sont unanimes sur l’impératif de lutter contre le commerce informel en l’introduisant dans la dynamique économique formelle. Partant de ce principe, une liste comptant 800 marchands ambulants a été arrêtée dans le but de les déménager dans des souks instaurés à cet effet. Cependant, et contre toute attente, la solution, tant réfléchie pourtant, tarde à être concrétisée. Résultat : des centaines de familles vivent dans la précarité faute de revenus.
Aucun signe de vie
17 avril 2024, 11h00. Dans la zone du souk Moncef Bey à Tunis se trouve le parc censé abriter les stands de 535 commerçants clandestins. Un espace immense a été réparti en plusieurs petits lots numérotés, tracés à même le sol. Dans une partie du terrain, plusieurs dizaines de charrettes peintes en vert ont été placées, l’une à côté de l’autre, sur deux ou trois lignées, sans doute par souci d’organisation. Ces charrettes ne concernent aucunement les commerçants clandestins. Elles seront remises à des personnes à besoins spécifiques pour les aider à gagner leur vie.
Au beau milieu du terrain, une cabine flambant neuve est en cours d’installation. Outre ces trois réalisations —notamment le traçage numéroté, les charrettes et la cabine en cours d’installation—, aucun signe de vie et encore moins d’un souk spécialisé à l’exception, néanmoins, d’une vingtaine de commerçants, à peu près, rassemblés pour débattre de leur sort si préoccupant… «Ces vendeurs à la sauvette ont été interdits d’exercer leur activité le 12 septembre 2023, et ce, sur décisions présidentielles. Ils se sont pliés à la décision dans l’espoir de voir leur situation s’améliorer. Or, ils se sont trouvés au chômage et cela traîne depuis huit mois, sans qu’il y ait la moindre mesure à même de les rassurer. Nous sollicitons le Président de la République de bien vouloir venir et examiner par lui-même l’avancement irritant car lent, voire suspicieux du projet», indique M. Moez Aloui, membre du bureau national exécutif de l’Ugtt et secrétaire général du Syndicat des commerçants indépendants. A vrai dire, le syndicat a eu beau tirer la sonnette d’alarme à maintes reprises, afin d’attirer l’attention des responsables sur la situation intolérable de ces commerçants et de leurs familles, mais en vain. « Nous avons organisé, au mois de Ramadan, un sit-in pour revendiquer nos droits. Les marchands illégaux sont interdits d’exercer leurs activités sans pour autant qu’ils bénéficient d’une solution salutaire. Finalement, placés entre l’enclume et le marteau, ils vivent dans la précarité et sont dans l’incapacité de subvenir aux besoins les plus élémentaires de leurs familles. Certains ont été dans l’obligation de vendre leurs meubles, d’autres risquent le divorce…», a-t-il ajouté.
Des pères de famille livrés à leur sort !
En effet, les commerçants présents à la place sont au bout du rouleau. Hamden Razqui se désole de voir sa famille disloquée. «Cela fait quatre mois que ma femme est chez ses parents. J’ai deux enfants dont l’un séjourne à l’hôpital Béchir Hamza. Faute de moyens, je me trouve dans l’impasse…Aucun d’entre nous ne détient un billet de dix dinars dans sa poche», nous confie-t-il, abattu. Lotfi Ayachi est un autre marchand qui a du mal à résister dans une situation, le moins qu’on puisse dire, insoutenable. «Je n’ai pas travaillé depuis l’interdiction des étals anarchiques. Je suis un père de famille qui n’a pas réussi à payer le loyer depuis trois mois. N’ayant pas le sou, ma famille craque sous l’effet de la crise. Ma femme vient de demander le divorce. Entre-temps, les responsables nous assomment de promesses. Ils nous infligent des frais et des paiements impensables», s’exclame-t-il. Il ne manque pas d’insinuer des pratiques de fraude et de corruption qui, selon ses dires, règnent en maîtres dans la zone, au détriment des petits commerçants qui ne cherchent qu’à gagner leur pain quotidien.
Qu’en est-il des crédits promis ?
Interpellé par les commerçants indépendants, le délégué de Bab Bhar à Tunis les a informés sur l’intention de leur octroyer des crédits par la BTS, d’une valeur de dix mille dinars, chacun. Une information qui reste ni confirmée ni infirmée ! En revanche, ce qui est certain, c’est que les commerçants indépendants —quoique pas encore installés au souk— sont redevables de payer le loyer du stand, jusque-là virtuel, tracé à même le sol, fixé à 120 DT par mois, et ce, dès le premier mai 2024 !
Quant aux cabines, dont l’échantillon était en cours de montage en ce mercredi 17 avril dernier, elles seront accessibles contre la somme de 7.000 DT l’une ! «Il est hors de question de faire l’acquisition d’une cabine à ce prix surtout qu’elle ne coûte, en réalité, que 3.000 DT. Nous sommes partants pour acheter les cabines à 3.000 DT l’une et par facilité de paiement. D’autant plus que nous insistons sur notre droit de bénéficier desdits crédits de la BTS», revendique M. Aloui. Il saisit l’occasion pour insister, d’abord, sur l’impératif, une fois le souk implanté comme promis, d’ouvrir des portes donnant sur les quatre côtés, afin qu’il soit accessible à un plus grand nombre de clients mais aussi sur la nécessité de couvrir le souk. «Résoudre le problème des étals anarchiques obéit à un plan bien ficelé : la garantie d’un espace adéquat, de cabines qui feraient office d’échoppes contre une somme raisonnable, soit 3.000 DT, ainsi que d’une convention avec la BTS pour l’octroi de crédits en faveur des commerçants. Tous ces éléments sont fondamentaux pour réussir le projet. L’octroi des crédits de l’ordre de dix mille dinars, chacun, en faveur des commerçants représente une revendication à laquelle nous tenons fermement, afin de pouvoir payer les frais des cabines», souligne Sameh Ghliguaoui, commerçante indépendante.
Notons qu’outre les 535 commerçants indépendants orientés vers la zone Moncef Bey, 92 autres ont été orientés vers Bab El Jazira, 75 au Marché central, 67 vers la rue Mongi Slim et 135 commerçants clandestins vers la zone Sidi Béchir. «Cela dit, bon nombre de commerçants indépendants n’ont pas décroché une place dans le cadre du présent projet», renchérit M. Aloui.