Les tableaux d’abstraction géométrique à la veine constructiviste de Jamel Sghaier vont à l’essentiel et leurs compositions minimalistes relèvent du spirituel. Leurs formats rectangulaires sont mis en déroute dans l’intention de plonger la vision dans une étendue aussi vaste et extensible que l’esprit. Ses œuvres sans thèmes précis, propres, sobres et nettes, évoquent le vide et font état d’une plénitude proche d’une méditation philosophique et mystique.
Né en 1956 à la Médina de Tunis dans le quartier de Halfaouine, Jamel Sghaier est un artiste peintre autodidacte vivant entre la Tunisie et l’Allemagne et qui expose aussi bien en Tunisie qu’en Europe. Neuf tableaux de grande dimension (130 x 160 cm), exposés actuellement sur les cimaises du Club Culturel Tahar Haddad à la Médina de Tunis, offrent à apprécier une pratique artistique peu commune en Tunisie.
La rigueur, le caractère rectiligne, légèrement courbe et la précision avec lesquels il manie la forme et la couleur retiennent l’attention. Dans chacun des tableaux de la série, sont placées côte à côte deux couleurs que séparent un segment de droite rouge et un autre blanc très fin.
Le duel chromatique bat son plein entre le vermillon et le noir, puis s’intensifie lorsque l’illusion optique de la troisième dimension entre en jeu.
En l’occurrence, la couleur étalée sur la toile bidimensionnelle donne l’illusion de s’étendre au-delà de la toile, de s’étirer et se mouvoir lorsqu’on change de position. Cette profondeur dans l’aplat et cette illusion engendrée par des espaces peints insufflent dynamisme et vigueur au tableau et le rendent multidimensionnel. L’énergie vibratoire répand ses ondes dans l’espace grâce aux formes à multiples côtés ainsi qu’à la dualité des couples de couleurs.
Lors de ses entretiens, l’artiste Jamel Sghaier évoque souvent l’Infini. Qui dit Infini, dit le désert, la mer, la prairie, le ciel, mais aussi la couleur, la langue écrite ou parlée, le mental, le rêve, l’imagination, la folie…. Notre Univers est fortement rempli de vacarme, de pollution, de cumul d’images et d’objets en tout genre, au point que nos facultés s’épuisent à supporter tant de cacophonie, de bric-à-brac, de complexités et de détails.
À un certain stade, il devient inhumain de tout repérer, connaître, identifier, saisir et digérer.
C’est la raison pour laquelle notre artiste installe, selon ses dires, le vide. Cet espace pictural aux multiples côtés se rebelle sur le rectangle originel de la toile pour nous inviter à voguer, tel un bateau qui file sur les flots. Se laisser glisser pendant un moment de manière virtuelle sur la pente uniforme des aplats de notre artiste, mène au calme et,@ à l’apaisement.
Si l’on se penche sur le sens en arabe du prénom Jamel, nous découvrirons qu’il signifie «beau» et que son nom de famille Sghaier veut dire «petit».
Le petit du Beau dans sa pratique d’artiste pourrait se manifester à travers la beauté du grand, que, paradoxalement, Jamel Sghaier essaie de nous montrer dans l’espace restreint et limité de la toile.
Le paradoxe du Beau, manifesté dans les limites de l’espace peint, constitue l’équation difficile pour laquelle l’artiste se bat au cours de son processus de méditation créative. Il s’agit véritablement de l’exploration de l’Infini dans le fini de la forme et la traduction de l’Immatériel —le spirituel— dans le matériel —la matière picturale.
En outre, à travers ce combat contre le fini de la forme, la quête de l’Absolu devient son adage. Cette investigation, à l’image de ce qu’elle cherche, est sans fin. Le développement de cette esthétique s’élargit au fil des tableaux peints et de la maturation de l’expérience artistique menée, une conduite créatrice à laquelle Jamel Sghaier s’attelle depuis trente-six ans.
C’est son monde intérieur nourri par son vécu antérieur de navigateur à la marine marchande, par ses lectures philosophiques, sa pensée existentielle qui nous sont livrées. L’artiste reconnaît être attiré par les grandes surfaces et l’Infini et que la mer a dû influer sur sa vision.
D’ailleurs, il confie que jadis, dans sa cabine d’officier de la marine, lors de ses pauses, il s’emparait des cartes de navigation obsolètes pour peindre gestuellement sur leurs dos. Pour ainsi dire, peindre pour Jamel Sghaier serait alors comme naviguer sur une surface mouvante avec, pour boussole, son émotion intérieure et sa recherche d’Absolu.
A.B.
Adresse du Club culturel Tahar Haddad : 20 rue du Tribunal, Tunis médina.
Heures d’ouverture : de 9h00 à 19h00 tous les jours sauf dimanche et lundi
