Lorsque nous étions plongés dans l’agitation de la période post-révolutionnaire, captivés par nos émotions devant une télévision dont les professionnels savaient parfois manier l’art de nous hypnotiser, Neila Gharbi, chroniqueuse au journal La Presse, portait déjà un regard plus lucide sur ce qui nous était présenté. Passionnée sans aucun doute, mais surtout critique envers la télévision, elle nous offre son nouveau livre Vision+: chronique de la télé tunisienne, un condensé de l’ensemble de ses chroniques sur la télévision, témoignage d’une période cruciale de l’histoire de la Tunisie.
A travers ses chroniques, la journaliste nous replonge dans les épisodes de l’histoire télévisuelle récente. Au fil des lignes, nous prenons véritablement conscience à quel point l’instantanéité faussait notre jugement. Alors que certains étaient aveuglés par la générosité de certaines initiatives associatives venant en aide aux plus démunis, Neila Gharbi, dans une chronique intitulée « Télévision : le grand bazar de la charité», dénonce les visées politiques de certains. De « Khalil Tounes» sur Nessma TV à « 3ich Tounsi», en passant par le « Couffin » de Hannibal TV, elle met en lumière les aspects politiques sous-jacents.
Elle écrit, par exemple : « Un nouveau-né, «3ich Tounsi», une association, joue également sur le terrain du caritatif en utilisant des spots de sensibilisation diffusés durant tout le mois de Ramadan sur des chaînes à forte audience. Des personnalités politiques et artistiques se sont prêtées au jeu. Mais très vite, l’enjeu a été dévoilé.
Les dirigeants de cette association se sont présentés comme une alternative électorale. Les «petites» gens ne sont qu’un prétexte, mais le but principal pour «3ich Tounsi» est de rejoindre la scène politique à la veille d’élections législatives et présidentielle ». Elle fait de même pour l’initiative de Nabil Karoui, alors patron de Nessma TV, qui avait pour ambition d’accéder à la magistrature suprême. Amoureuse de la télévision et défendant la liberté de ton, Neila Gharbi est cependant très critique envers les émissions sans valeur ajoutée pour le téléspectateur une fois qu’on appuie sur le bouton rouge de la télécommande.
Elle souligne, lorsque les émissions de divertissement se multiplient sur toutes les chaînes, que celles-ci ont pour seul objectif d’enregistrer le plus fort taux d’audience. Pour ce faire, certains chroniqueurs sans scrupules n’hésitent pas à tenter par tous les moyens de faire le buzz, quitte à provoquer des scandales en proposant des sujets racoleurs ou en proférant des propos vulgaires et stupides. Pour elle, les téléspectateurs ont besoin de « divertissement », mais certainement pas d’être insultés dans leurs propres salons. Dans son recueil de chroniques passionnant, facile à lire, l’œil avisé de Neila Gharbi revient sur les secrets de longévité de certaines sitcoms, à l’instar de l’indémodable «Choufli Hal», appelée aussi « Sboui », du nom du principal personnage joué par feu Sofiène Chaâri.
La pépite de Hatem Belhaj, réalisée par feu Slaheddine Essid, tient son succès, selon elle, du caractère « humain » des personnages et des situations proposées aux téléspectateurs. « Choufli Hal » joue sur les situations paradoxales et les oppositions », écrit la journaliste.
Le livre est joliment illustré avec les caricatures acerbes de Chedly Belkhamsa et mis en pages par Syrine Ben M’barek. Cependant, on peut regretter que les chroniques ne soient pas datées pour que le lecteur puisse recontextualiser ce qu’il lit.
Nous pouvons également regretter l’absence de commentaires de mise en perspective de l’auteure, qui auraient pu guider le lecteur dans le décryptage de cette petite histoire de la télévision.