Le féminicide, ou l’homicide commis par l’homme sur la femme, constitue, indéniablement, la forme la plus atroce de violence sur fond de genre. Il est désigné par OMU Femmes comme étant «la forme la plus extrême de violence contre les femmes et leur inégalité».
En Tunisie, comme partout dans le monde, des femmes succombent sous les coups et les poignards des hommes, leurs conjoints plus précisément. Néanmoins, le féminicide n’est pas reconnu par la loi tunisienne comme un crime sur fond sexiste.
Selon une étude, réalisée en 2022 par l’Unfpa Tunisie et intitulée: «Etat des lieux sur les féminicides en Tunisie», l’on constate que «72,51% des cas de violences faites aux femmes sont commis dans l’espace familial, 48,46% des violences sont exercées par l’époux et la majorité des meurtres qui ont fait l’objet d’une couverture médiatique sont l’œuvre d’un conjoint ».
La conversion de l’environnement familial — censé être pourtant la référence de la sécurité et du bien-être social — en un lieu de risque, de mal-être, de maltraitance et de menace, est due à moult facteurs d’ordre culturel, sociétal, individuel, relationnel et parfois même psychologique. Si le féminicide continue à être considéré comme un homicide, un meurtre voire un crime, il l’est pourtant, mais sous un angle des plus atroces, et ce, en raison de sa nature sexiste. Les victimes sont massacrées suite à leur nature, à leur genre. Tous les prétextes qu’avancent les meurtriers pour justifier le crime ou accoler au terme «homicide» un adjectif qui pourrait adoucir, un tant soit peu, la cruauté de leur acte, ne réussiraient aucunement à estomper la haine qu’ils vouent au genre de la victime.
Le complexe de domination masculine
Il faut dire que les coupables ont été, d’une manière ou d’une autre, nourris par cette haine envers le genre féminin. En commençant par une société patriarcale, à dominante masculine, où – avouons-le – la femme excelle plus dans la vie active et celle familiale, l’homme est en mal de domination. Et même s’il parvient à opprimer la femme sous l’effet notamment de sa culture machiste et de violence économique et autre sexuelle, il s’avère être incapable de tout maîtriser chez elle. Aussi, les crimes passionnels et crimes d’honneur sont-ils des notions auxquelles recourent les avocats pour justifier les homicides commis sur les femmes ; des notions qui servent les intérêts du coupable mais qui montrent, aussi, sa frêle possession de la victime.
Tuées chez elles par leurs maris…
La présente étude a été réalisée à partir d’un échantillon comptant 46 affaires de féminicides. Elle montre que sur les 46 dossiers examinés, 34% des victimes sont âgées de 19-30 ans et 44% entre 31-50 ans. Elles sont mariées dans 71,73% des cas et 46% d’entre elles sont des femmes au foyer. Il est intéressant à savoir que sur les 46 féminicides précités, 43 ont eu lieu au sein de la famille. Et c’est bien le mari qui est le meurtrier dans 61% des cas. Notons que 68% des féminicides sont commis au domicile et par une arme blanche dans 41% des cas. L’acharnement à coups de couteau sur le corps de la femme constitue la principale cause de la mort des victimes ; un acte des plus barbares, qui dit en long sur la grogne et la férocité des meurtriers. Ce phénomène s’explique, ici, par l’inacceptation de perdre contrôle sur l’épouse ou même sur l’ex-épouse : « Les hommes violents tuent leurs femmes non pas parce qu’ils perdent le contrôle sur eux-mêmes, mais parce qu’ils le perdent sur leurs femmes. C’est ce qui explique le fait que les femmes soient plus en danger au moment de la séparation ».
Multiples et frénétiques coups de couteau !
Ce constat se trouve démontré par la majorité des motifs de féminicides. L’étude en cite quelques-uns, mettant en exergue la corrélation entre «perdre le contrôle sur la femme» et l’assassiner à coups de couteau répétitifs et acharnés. En effet, les récits des crimes commis trahissent des pulsions criminelles impensables et des actes des plus horriblement prémédités.
Parmi les féminicides examinés figure celui d’Aziza, une femme qui était terrifiée par les menaces de meurtre, prononcées par son mari à tout bout de champ, au vu et au su de sa famille. Le meurtrier gobait mal les soupçons d’infidélité, puis la séparation et le refus d’Aziza de reprendre leur relation. Il finit par l’assassiner par 52 coups de couteaux sur la tête, le cou, le visage et la poitrine et à l’éventrer comme il l’avait menacée au préalable.
Le sort de Faten a été également tragique. Elle a été assassinée dans la rue, après que son mari l’a vue avec son amant. Il l’avait poignardée dans le cœur, les poumons et le foie. Elle était morte sur le coup, sous les yeux de sa fille… Le mari de Souad vivait mal la séparation. Il montrait du doigt ses mœurs légères et multipliait les disputes liées à la garde des enfants. Finalement, il a mis fin à la vie de Souad ainsi que celle de sa sœur, Houda. Il a même tenté de découper les corps en morceaux pour mieux s’en débarrasser par la suite. La police avait trouvé un couteau, un marteau, une planche et des sacs en plastique sur le lieu du crime. Quant au mari d’Amel, il ne tolérait plus les poursuites judiciaires qu’elle menait à son encontre pour lui avoir caché sa stérilité.
En cause, elle refusait de continuer à vivre avec lui. Il l’a assassinée par 17 coups de couteau. Houda, autre victime de féminicide, avait entamé des procédures de divorce contre son mari. Le jour de l’audience, alors qu’elle hélait un taxi, accompagnée par son frère, elle a été brusquement agressée par son mari, étant avec ses quatre complices. Il l’a tuée à coups de couteau et tenté d’assassiner son frère.
Soupçons de trahison, d’adultère, mais aussi tension entre les couples, certains avaient pourtant d’autres mobiles pour accomplir leurs crimes. C’est le cas du mari de Zohra, femme diabétique ayant les orteils amputés et le talon infecté par la maladie. Son mari la maltraitait et attendait impatiemment pour l’enterrer et en hériter. Un jour, il lui prépara une bassine d’eau brûlante pour y tremper ses pieds. Criant sous l’effet de la douleur, il lui enfonça une boîte de médicaments dans la bouche en l’attachant avec un foulard. Puis il la jeta du toit de la maison. Elle meurt quelques jours plus tard. Beya, quant à elle, n’était pas mariée mais fiancée. Elle a été accusée d’infidélité pour avoir ouvert la porte de la maison à un inconnu. Son fiancé l’a agressée au visage et à la tête puis l’a poussée dans le canal de Oued Madjerda… La peine capitale a été prononcée contre les meurtriers d’Aziza, Houda et Faten. Les autres ont été condamnés à perpétuité.
Prophylaxie et autres facteurs
Cependant, le pire, peut-être, reste à venir et à prévenir surtout en traçant les grands traits de la prophylaxie des meurtriers. La présente étude indique certains facteurs à risque chez les hommes auteurs de féminicides. Ce sont, généralement, des hommes jeunes, qui ont été témoins — ou victimes — de violence durant l’enfance. Certains d’entre eux sont en proie à la dépression, à l’alcoolisme, aux troubles de la personnalité. Peu instruits, mal rémunérés, ils vivent dans des milieux précaires, populaires où la domination masculine est la règle de tout relationnel, ce qui fait que la violence domestique est banalisée.
La société civile se bat contre ce phénomène sociétal, incitant les décideurs à faire appliquer la loi. Les crimes précités et bien d’autres encore auraient pu, probablement, être évités si les coupables n’étaient pas rassurés par ce sentiment d’impunité ; un sentiment qui serait alimenté par une société et des décisions clémentes en faveur des agresseurs. Aziza ne cessait de se plaindre des menaces de mort de son mari, mais sa famille l’avait rassurée que ces menaces ne sont que des paroles et rien de plus…
Manifestement, la dangerosité des agresseurs n’est point prise en considération. D’ailleurs, les plaintes de violence conjugale restent souvent sans suite ; les jugements, quant à eux, s’avèrent être lents. Seules des associations féministes prennent en charge les femmes victimes de violences et les accompagnent dans leur parcours vers la dignité et l’autonomie.
Mohamed Ali Elhaou
4 juin 2024 à 06:40
Il y a aussi des femmes qui tuent leur conjoint. Cet article n’est pas nuancé du tout. Le mal n’est pas que d’un seul côté. La famille en Tunisie est en train d’être éclatée.