Trois questions à… Alexandre Borde, CEO de «Cibola Partners » : «La politique de création d’actifs carbone doit être strictement encadrée»

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Il faut impérativement distinguer une réglementation encadrée par l’Accord de Paris (lequel a été ratifié par 195 pays dans le monde) du marché volontaire du carbone qui ne répond à aucun cadre législatif, à aucune politique climatique internationale et dans lequel les crédits carbones posent un problème juridique au regard de la réglementation sur les instruments financiers, de type Securities Exchange Act aux USA ou Directive Mifid II pour l’UE.

Le démarrage de l’accord bilatéral de mise en œuvre de l’Accord de Paris a été lancé récemment en Tunisie, avec une priorité donnée à l’Article 6. Pouvez-vous nous donner un aperçu sur cet accord ?

L’Article 6 de l’Accord de Paris permet aux pays de coopérer volontairement pour mettre en œuvre leur stratégie de lutte contre les changements climatiques (appelés dans le jargon onusien, Contributions Déterminées au niveau National ou CDN). Cette coopération peut prendre la forme d’approches basées ou non sur le marché.

Les approches basées sur le marché sont fondées sur la finance carbone. Par exemple, l’Article 6.2 met en place un mécanisme qui permet aux pays d’échanger entre eux des crédits carbones, également appelés «résultats d’atténuation transférés au niveau international» (en anglais, ITMOs). Ces crédits représentent des réductions ou des absorptions de CO2, permettant par exemple à la Tunisie de vendre ses excédents à la Suisse, qui en aurait besoin.

Vous parlez de crédits carbones. Ceux-ci ont défrayé la chronique ces derniers temps. Quel regard portez-vous là-dessus ?

Il faut impérativement distinguer une réglementation encadrée par l’Accord de Paris (lequel a été ratifié par 195 pays dans le monde) du marché volontaire du carbone qui ne répond à aucun cadre législatif, à aucune politique climatique internationale et dans lequel les crédits carbones posent un problème juridique au regard de la réglementation sur les instruments financiers, de type Securities Exchange Act aux USA ou Directive Mifid II pour l’UE. La seule réponse qu’on observe, ce sont des promesses certes louables de plus grande intégrité de ces crédits carbone au travers d’initiatives d’acteurs de la société civile et du secteur privé. Il faudrait sans doute aller plus loin en accréditant les agences de notation existantes, pour les habiliter à juger de l’intégrité de ces projets volontaires et de ces crédits.

Sur le plan théorique, on pourrait comparer cela à la création monétaire. De la même manière que la politique monétaire est encadrée et a généralement pour vocation à assurer la stabilité des prix, le plein-emploi ou encore la stabilité du taux de change, la politique de création d’actifs carbone doit être strictement encadrée, avec pour vocation de réduire les émissions de gaz à effet de serre. C’est ce qui fonctionne très bien en Europe avec le système d’échange de quotas d’émissions. En 20 ans, le marché européen du carbone a fait la démonstration de son efficacité, avec un prix autour de 75 euros la tonne de CO2 ces jours-ci. Le principal avantage du marché volontaire est d’aller de l’avant, car il faut bien avouer que les négociations sur la mise en œuvre de l’Article 6 de l’Accord de Paris traînent.

Comment voyez-vous le marché du carbone évoluer dans les prochaines années ?

Premièrement, il faut clore le chapitre ouvert à la COP-26 de Glasgow en 2021, c’est-à-dire trouver rapidement un consensus sur les modalités de mise en œuvre de l’Article 6 de l’Accord de Paris. Or, les discussions au sein de l’Organe de surveillance du mécanisme de l’Article 6.4  — l’instance de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (Ccnucc) responsable de la convergence des marchés volontaire et réglementé — sont pour le moins laborieuses.

Deuxièmement, on constate un intérêt croissant pour les coopérations bilatérales (c’est-à-dire la mise en œuvre de l’Article 6.2). L’accord signé entre la Tunisie et la Suisse est une illustration de cette évolution et une excellente nouvelle. De la même manière, dans le secteur aérien, la rigueur imposée par l’Organisation de l’aviation civile internationale (Oaci) pour son programme de compensation et de réduction du carbone pour l’aviation internationale (connu sous le nom de Corsia) doit être applaudi. Enfin, il est important de valoriser correctement les absorptions permanentes de carbone (permises grâce au biochar ou au captage direct du dioxyde de carbone dans l’air). Aujourd’hui, l’Union européenne travaille à mettre en place un cadre de certification relatif aux absorptions de carbone (Crcf). Ce marché est aujourd’hui très prometteur, et les investisseurs ne s’y trompent pas : beaucoup de start-up se lancent dans la séquestration permanente de carbone, avec des technologies aussi diverses que le biochar, la bioénergie avec captage et stockage de carbone ou le captage et stockage directs de carbone atmosphérique.

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