Accueil La Bibliothèque de La Presse E LIVRE DE LA SEMAINE | «Le voleur et les chiens» de Naguib Mahfouz: l’injustice sociale à blâmer

E LIVRE DE LA SEMAINE | «Le voleur et les chiens» de Naguib Mahfouz: l’injustice sociale à blâmer

A ce jour, Naguib Mahfouz (1911-2006) reste toujours le seul écrivain arabe récompensé du prix Nobel de littérature. L’académie de Stockholm l’a couronné en 1988 pour son «art narratif arabe qui trouve une résonance dans l’humanité entière», comme l’ont bien mentionné les jurys.


Au cours    d’une carrière qui s’étend sur plus de 60 ans, il s’est distingué par une œuvre littéraire abondante et novatrice. Au total, plus de 50 titres portés pour la plupart à l’écran. Doté d’un grand talent de conteur, ses récits et ses intrigues captivantes font découvrir une Egypte complexe et réfléchir sur des thèmes universels.

«Le voleur et les chiens», traduction française de «Al-Liss wal-Kilâb», paru en 1961, est un de ses romans qui passionnent autant qu’ils interrogent. En dénonçant la cruauté sociale qui fait d’un homme honnête un criminel, chaque existence minuscule qu’il dépeint se transforme en symbole vivant de liberté, d’injustice, de fatalité et de désespoir.

Ce livre a été adapté pour le cinéma en 1962, un an à peine après sa publication. Il est indispensable pour celui ou celle qui veut garnir sa bibliothèque de classiques incontournables.

Une fresque sociale sur la vengeance et l’inégalité

Dès la première page, Saïd Mahran, le protagoniste, annonce clairement la couleur. Ce voleur ayant écopé de quatre ans de prison est en quête de revanche contre les traîtres (les chiens) qui l’ont dénoncé et ont fait de sa vie un calvaire. Suite à une série de monologues et de flash-back, l’écrivain nous dévoile subtilement la philosophie de son personnage. Le cambrioleur s’avère être un homme cultivé et imprégné de l’idéal révolutionnaire. Son ami journaliste lui a inculqué une vision du monde qui consiste à considérer le vol perpétré par les plus pauvres comme une justice nécessaire dans la société inégalitaire, une sorte de Robin des Bois des temps modernes. A sa sortie de prison, son formateur qui l’a encouragé au vice lui a tourné le dos, devenant un homme public et embourgeoisé, aux idées radicalement différentes. Sa femme l’a abandonné pour un autre et sa fille ne le reconnaît plus. Dans l’angoisse de la solitude et l’exclusion, cet homme, qui a tout perdu, est emporté dans la spirale infernale du ressentiment et de la haine qui conduit à sa propre perte. La tension est maximale tout au long du récit. On sent la violence monter inexorablement. Au final, ce sont les «chiens» qui ont eu le dernier mot.

Des thèmes universels et intemporels

Dans ce roman, Naguib Mahfouz peint le destin d’un homme qui revendique la justice et la liberté. On suit le personnage dans ses dérives. Autour de lui, gravitent le sage mystique, la prostituée, l’arriviste, les corrompus et les intellectuels cohabitant dans la ville moderne du Caire. A travers le périple de Saïd Mahran, Mahfouz brosse un portrait de la société égyptienne des années 1950 et 1960.

Comme les échos des bouleversements politiques se répercutent sur son œuvre, il critique tant de fléaux qui affectent des millions d’Egyptiens. Une décennie à peine après la révolution des Officiers libres, le peuple est retourné à ses vieux démons : le désespoir et le fatalisme. Cette désillusion et l’inadaptation aux conditions injustes de la vie ne reflètent pas que la réalité égyptienne. Le personnage de Saïd est typique de l’homme modeste qui se révolte contre l’oppression de la société et des autorités. La soif de vengeance qui l’anime, les rapports de force qui s’exercent ainsi que ce sentiment de marginalité et d’exclusion imposé à cet ancien prisonnier confirment la portée intemporelle de ce roman. Aujourd’hui encore, les détenus libérés ont du mal à trouver une possibilité de rédemption, d’apaisement et de résilience. Le legs de Mahfouz est aussi un témoignage de son engagement envers l’égalité, la vérité et la liberté d’expression. Il réprouve les droits de l’homme bafoués et la misère de ses compatriotes qui sévit à l’ombre de la corruption et des slogans politiques absurdes. Ces principes universels sont des fils conducteurs qui relient les œuvres littéraires à travers le temps et l’espace. Ils transcendent les époques et les cultures, touchant des aspects fondamentaux de l’expérience humaine, et continuent d’inspirer les écrivains arabes contemporains.

Pourquoi lire Naguib Mahfouz en français ?

La carrière de Naguib Mahfouz se confond avec l’histoire du roman égyptien et arabe moderne. A travers un cadre spatio-temporel et historique véridique, ses personnages hauts en couleur et sa perception de la transformation de la société, il a introduit les premiers exemples d’une nouvelle esthétique littéraire. Il a marqué le roman contemporain arabe par son style qui l’a fait comparer à de grands noms de la littérature française. Les critiques l’ont souvent surnommé le «Balzac égyptien» ou «Le Zola du Nil». Bien qu’ils appartiennent à des contextes culturels différents, des parallèles peuvent être tracés entre leurs œuvres. Si vous appréciez l’écriture réaliste en langue française, vous pourrez mieux cerner cette traduction de Naguib Mahfouz, surtout quand on sait qu’un traducteur est tout d’abord un lecteur impatient de réécrire ce qu’il a aimé. En parcourant les pages de ce livre aux accents de tragédie, qui renvoie au côté sombre de l’histoire égyptienne moderne, vous chercherez alors par vous-mêmes l’influence de la littérature française du XIXe siècle. De plus, la version originale est un mélange d’arabe littéraire et de dialectal, ce qui n’est pas apprécié par tous les lecteurs. La traduction française offre à «Le voleur et les chiens» l’opportunité de partager les thèmes avec un lectorat plus vaste, tout en préservant l’essence et l’intention de l’œuvre originale. Ce livre captivant et enrichissant a pu accéder à une diffusion internationale, permettant à son auteur de gagner en visibilité et d’obtenir une reconnaissance au-delà des frontières de son pays d’origine. Le lire ou le redécouvrir dans une langue différente vous permettra d’enrichir votre expérience de lecture et d’explorer de nouvelles perspectives. Comme il est conseillé d’avoir votre propre bibliothèque personnelle qui vous permettrait de prendre du bon temps tout en vous cultivant de manière optimale, vous devez absolument acquérir ce roman. Connu même auprès de la jeunesse, aimé et encensé par la critique, il fait partie des chefs-d’œuvre qui ont propulsé Naguib Mahfouz dans la sphère des auteurs immortels.

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