Coopération interafricaine : Quel bilan peut-on dresser de l’adhésion de la Tunisie au Comesa et à la Zlecaf sur l’économie nationale ?

132

 

Dans un monde marqué de plus en plus par la création de  communautés économiques régionales en Afrique, notre pays a très vite saisi l’opportunité d’intégrer ces blocs et espaces économiques émergents, dont le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (Comesa) et la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), considérée comme la plus grande zone de libre-échange au monde, réunissant 54 pays de l’Union africaine. Si en théorie tout se passe bien, en pratique les résultats ne suivent toujours pas. La Presse fait le point.

C’est ainsi que notre pays a accueilli en juin dernier le Forum du marché commun de l’Afrique orientale et australe (Comesa) sur l’investissement (CIF 2024). Ce forum de haut niveau s’est fixé comme principal objectif la promotion du commerce et de l’investissement dans la région Comesa sur le thème «Libérer le potentiel : commerce et investissements transfrontières». Selon les projections des organisateurs, notre pays allait bénéficier du vaste marché de la région, facilitant l’accès à une population de plus de 640 millions de personnes et à un PIB combiné de 1 000 milliards de dollars. Des chiffres qui donnent le tournis, mais qu’en est-il réellement ?

Comesa, de bonnes performances enregistrées  

La directrice générale de l’Airc, Heba Salama, s’est même réjouie d’accueillir la communauté d’affaires tunisienne au CIF 2024. Et de déclarer : «Avec ses 21 États membres, le Comesa est à l’avant-garde de la promotion de l’unité économique à travers l’Afrique. J’encourage les agences de promotion des investissements du Comesa et les principaux investisseurs et entreprises de Tunisie à explorer des transactions commerciales et d’investissement conjointes». Le thème du forum souligne la nécessité pour les décideurs politiques ainsi que le secteur privé de collaborer plus étroitement et de prendre des mesures décisives pour accélérer le développement dans toute la région, en renforçant les investissements et les flux commerciaux transfrontières.

De bon augure pour l’économie nationale, d’autant que ce marché est susceptible d’être une zone d’intégration potentielle pour la Tunisie, selon une note d’analyse publiée par l’Institut tunisien de la compétitivité et des études quantitatives. En effet, de nombreuses perspectives dans les domaines de l’énergie, de l’agriculture et de l’agro-industrie ainsi que pour plusieurs activités productives à forte valeur ajoutée s’offrent à la Tunisie, quand on sait que «l’examen de l’évolution de la croissance du PIB et des importations durant la dernière décennie (2007-2016) montre bien que le Comesa a enregistré de bonnes performances par comparaison à notre principal partenaire l’UE, notamment au niveau des importations», souligne la même source.

Pour un engagement plus fort des pouvoirs publics nationaux

Pour ce qui concerne l’adhésion de la Tunisie à la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), l’accord qui a été signé par la quasi-totalité des pays de l’Union africaine prévoit un démantèlement tarifaire sur 97% des lignes tarifaires entre ses membres, à partir du 01/01/2021, sur une durée de 10 ans pour les pays Non PMA (Pays moins avancés) et sur 13 ans pour les pays PMA. En supprimant les obstacles, la Zlecaf permettra progressivement aux acteurs économiques de développer le commerce intra-africain. Ce qui est le plus important, la Tunisie devrait être l’un des principaux pays bénéficiaires du libre-échange en matière de croissance des exportations vers l’Afrique, selon la Cnuced. Sachant qu’aujourd’hui, la répartition des exportations tunisiennes montre une étroite dépendance vis-à-vis des pays de l’Union européenne de l’ordre de 73,7% du total des exportations, d’après un rapport publié par l’Union africaine et la GIZ.

Pour la seule destination Afrique, les exportations tunisiennes pourraient, grâce au libre-échange, augmenter de 54%, l’augmentation des exportations industrielles pourrait atteindre 74%, celle des exportations agricoles et des industries alimentaires de 21%. Les exportations vers l’Afrique des mines et de l’énergie pourraient progresser de 5%, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced).

Toutefois et en dépit de l’initiative du Commerce Guidé lancée en  octobre 2022 par le secrétariat de la  Zlecaf, à l’occasion de la tenue de la 10e réunion du Conseil des ministres chargés du Commerce, au Ghana, les fruits de cette coopération se font toujours attendre. A cet effet, certains experts expliquent que ce retard est d’ordre structurel. Il est plutôt inhérent à la mise en place d’instruments d’opérationnalisation de la Zlecaf et des outils de facilitation de la mise en œuvre de l’accord en question. Selon ces derniers, «le commerce intra-africain enregistré demeure insuffisant et l’Afrique commerce davantage avec le reste du monde qu’avec elle-même. Cette faiblesse des échanges est notamment imputable à un manque d’informations sur les opportunités et les conditions d’accès aux marchés».

Selon l’Institut tunisien de la compétitivité et des études quantitatives, en tenant compte du positionnement compétitif des exportations tunisiennes sur le Comesa dont la demande est importante et à la modeste relation commerciale qu’entretient notre pays avec cette zone, l’économie tunisienne dispose encore de marges de progression qu’il y a lieu d’exploiter. Cela est d’autant plus envisageable que la Tunisie s’est déjà spécialisée dans l’exportation de certains produits demandés par certains pays de cette zone et qu’elle pourrait améliorer sa position sur ceux-ci moyennant des mesures et incitations spécifiques. Toutefois, le renforcement de cette position demeure fortement tributaire d’un engagement plus fort des pouvoirs publics pour l’instauration d’un environnement institutionnel et réglementaire plus propice.

Mettre en application les accords relatifs au corridor commercial tuniso-libyen

Le professeur universitaire en sciences économiques Ridha Chkoundali souligne, pour sa part, à notre journal que la question est tout autre. Si on veut booster la coopération dans le cadre de ces institutions, il faut inéluctablement mettre en pratique l’accord signé entre notre pays et la Libye relatif à la création d’un corridor commercial continental tuniso-libyen vers l’Afrique subsaharienne. Pour rappel, cette décision a été officiellement approuvée, en août 2023, lors d’une réunion entre la ministre tunisienne du Commerce et de la Promotion des exportations, Kalthoum Ben Rejeb, et le ministre libyen de l’Economie et du Commerce du Gouvernement d’unité nationale libyen, Mohamed Houij, à l’occasion d’un Conseil ministériel mixte tuniso-libyen. Les deux ministres avaient signé des mémorandums d’entente dans des domaines tels que l’organisation de salons, les marchés internationaux, les zones de libre-échange et la coordination pour la mise en œuvre des accords dans le cadre de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf).

Or, on fait toujours du surplace à ce niveau, comme en témoigne la fermeture du point frontalier Ras Jedir sur une longue période, quoiqu’il ait été rouvert le 2 juillet dernier.  Cette fermeture a impacté directement la zone de libre-échange à Ben Guerdane. Comment pourrait-on, dans ce cas, parler encore de la Zone de libre-échange continentale africaine, se demande Chkoundali. «A mon avis, il faut attendre les prochaines élections en Libye et espérer la stabilisation de la situation politique pour mieux gérer ce gros dossier». Selon lui, tout reste tributaire des prochaines élections dans ce pays et de l’infrastructure qui sera mise en place pour accompagner la coopération dans un cadre encore plus général, celui de la Zlecaf.

Même s’il est encore tôt de tirer des conclusions et faire le point autour de l’adhésion de la Tunisie au Comesa et à la Zlecaf, certaines actions devraient être entreprises en vue de faciliter surtout l’accès des entreprises tunisiennes aux pays du Comesa. Les mesures sont multiples, dont notamment l’augmentation des représentations diplomatiques en Afrique, le renforcement des dessertes aériennes et maritimes, la simplification des procédures douanières, le soutien financier aux entreprises tunisiennes qui souhaitent s’externaliser.

Laisser un commentaire