L’immense responsabilité des médias

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Editorial La Presse

 

UN guide pratique destiné au traitement médiatique du suicide vient d’être publié par le ministère de la Santé. Le manuel met en garde contre les descriptions détaillées des moyens de suicide utilisés qui pourraient, de quelque manière que ce soit, encourager les idées et conduites suicidaires.

Les médias ont, en effet, la lourde responsabilité de soigner leur manière de présenter ce phénomène personnel et social complexe et délicat. D’éviter de le rendre attrayant et d’en parler comme si c’était un exploit. L’on se souvient, à la suite de l’immolation de Bouazizi, considérée comme l’étincelle qui a donné suite à la révolution de 2011, comme c’était devenu dangereusement banal de s’immoler devant une administration ou sur la voie publique.

L’immolation par le feu, par l’effet d’un mimétisme pervers, s’était transformée alors en acte de dissidence associé à on ne sait quoi d’héroïque. Heureusement les choses se sont calmées depuis.

A l’inverse, le fait de considérer le suicide comme un crime et de le présenter comme tel par les médias incite à la culpabilisation aussi bien de la personne en proie à des idées suicidaires que de son entourage qui risque d’éviter par crainte de la stigmatisation sociale, voire des poursuites pénales de demander de l’aide. Malgré le fait que le suicide soit dépénalisé en Tunisie, c’est l’aide au suicide qui est jugée pénalement, les familles réfléchissent à deux fois avant de consulter les prestataires de santé, notamment publics.

Les statistiques récentes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) révèlent que près de 700.000 personnes meurent chaque année dans le monde en se suicidant. Les plus exposés sont les 15-29 ans.

Le suicide étant la quatrième cause auprès de cette catégorie d’âge charnière. En 2019, la Tunisie a été classée par l’OMS à la 161e place, sur 181 pays et territoires, soit 3,2 suicides pour 100 mille habitants et par an. Pour des pays comparables au nôtre, la Jordanie, par exemple, fait beaucoup mieux, avec un classement à la 179e place, ce qui correspond à 2,0 suicides pour 100 mille habitants.

La présence d’experts est indispensable pour exposer le sujet sur les supports médiatiques. Les spécialistes en santé mentale et les psychologues sauront comment présenter le suicide, en évitant le sensationnalisme, et son contraire, la culpabilisation. Maîtrisant parfaitement le sujet, chaque mot prononcé sera à sa place.

Le ministère de la Santé préconise, à cet égard, l’organisation de rencontres avec les spécialistes pour prendre connaissance des méthodes de prévention et soutenir les personnes souffrant de troubles du comportement. Le guide s’adresse également aux familles, les incitant à communiquer avec leurs enfants adolescents, sans jugement préconçu, et être à l’écoute de leurs préoccupations.

L’influence des médias a pris une place considérable. Seulement, cette fois-ci, leur responsabilité est immense. L’OMS estime que des suicides peuvent être évités par une couverture médiatique responsable. Ainsi, les médias sont en mesure de jouer un rôle dans la réduction du nombre de suicides dans leurs pays respectifs. Une interpellation qui nous pousse à réfléchir.

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