L’écrivain égyptien Naguib Mahfouz, lauréat du prix Nobel de littérature 1988, a publié un total de 30 romans et plus de 100 nouvelles jusqu’à sa mort en 2006. Avec ses portraits très réalistes, on peut voir la vie quotidienne en Égypte et les bouleversements politiques à travers les yeux des personnages, ce qui a nourri l’imagination des lecteurs et inspiré les cinéastes. L’adaptation sur écran de ses écrits leur a offert une portée nouvelle. En tout, 21 films et 8 feuilletons réalisant un énorme succès tant commercial que critique. Les représentations d’une même œuvre sont parfois nombreuses, et fort différentes, comme pour « Le Voleur et les chiens » repris à la télévision et au grand écran. La preuve ultime que ce roman très lu jusqu’à aujourd’hui est d’une grande qualité. Le fameux Said Mahrane a été brillamment incarné par Chokri Sarhane en 1962, puis par Riadh Khouli en 1998 dans un feuilleton d’une grande popularité.
Des personnages emblématiques et la politique en toile de fond
Vous devez certainement connaître le personnage Si El-Sayed, joué par le majestueux Yahia Chahine dans la célèbre trilogie de Naguib Mahfouz. L’expression est utilisée ironiquement aujourd’hui dans notre quotidien pour qualifier un mari tyrannique et autoritaire, qui « se prend pour Si El-Sayed ». Vous êtes peut-être tombés sous le charme de la grande Nadia El Gendy interprétant Neamat-Allah dans Wekalet El Balah (Agence El-Balah). Ces personnages fictifs, et bien d’autres, sont inventés par l’écrivain égyptien puis transformés à partir de ses œuvres littéraires en icônes qui expriment les modèles de la société et de la culture égyptiennes au cours du siècle dernier. De très grands noms du cinéma égyptien ont eu le privilège de jouer dans les films tirés des romans de Naguib Mahfouz, comme Chadia, Nabila Abid, Nour Cherif et Ahmad Zaki. Avec leurs talents confirmés qui frôlent l’excellence, ils ont donné vie aux personnages, les rendant plus remarqués et mémorables. Nous avons presque tous vu et apprécié « Début et fin » (Bidaya wa Nihaya) réalisé en 1960 par Salah Abu Sif, avec Ferid Shawki au rôle principal, ou encore « La Route » (Al tarik) de Houssemedine Mustafa sorti en 1964, où Souad Hosni et Ruchdi Abadha se partagent l’affiche. L’épopée des Harafish, écrite en 1977, a été incarnée par le réalisateur Hossam Eddin Mustafa dans une œuvre cinématographique grandiose mettant en vedette Mahmoud Yassin et Laila Alawi. « Les Cailles et l’automne » (Al samman wal kharif), avec Nadia Lotfi, a également été un grand succès au box-office.
Cependant, d’autres livres et films qui critiquent sévèrement la politique ont été censurés, dont Tharthara Fawq Al-Nil (À la dérive sur le Nil) qui reprend la décadence de la société égyptienne à l’époque de Nasser. Cet impact créatif des œuvres de Naguib Mahfouz se poursuit encore aujourd’hui avec le feuilleton « Les joies du dôme » en 2016, la série libanaise « Road » réalisée en 2018 par Rasha Sharbatji, et plus récemment « Entre ciel et terre » diffusé au ramadan 2021. Mais ce que vous ne savez peut-être pas, c’est que la notoriété des films de Naguib Mahfouz a transcendé les frontières de son Egypte natale. La fameuse « Hamida », jouée par Shadia dans « Passage des miracles » (Zoukak Al Midaq) a inspiré le réalisateur mexicain Jorge Fons qui a repris le roman, mettant en vedette l’actrice Salma Hayek. Transposée dans un autre pays à une toute autre époque, le résultat a donné « Mexican Beauty », sorti en 1995. Un autre réalisateur mexicain, Arturo Rebstein, a tourné « Le début et la fin ». Cette version a reçu de nombreux prix locaux et internationaux. Remportant un succès unanime, les adaptations cinématographiques du célèbre écrivain égyptien ont créé des univers inédits, inventé un genre, défini des règles. C’est dire l’importance de l’œuvre écrite: en concevant ses romans, Naguib Mahfouz devait certainement imaginer des thèmes à la portée universelle !
Les adaptations cinématographiques sont-elles fidèles aux œuvres littéraires ?
Si les longs métrages et les feuilletons ont d’habitude la réputation de trahir le livre, le cas de Naguib Mahfouz semble faire l’exception. Il semble écrire pour le cinéma, auquel il a consacré une grande partie de son énergie. D’ailleurs, il l’a confirmé lui-même lorsqu’il a déclaré : « J’ai toujours considéré le cinéma comme un moyen efficace d’atteindre un public que je n’aurais pas atteint avec la littérature ». C’est particulièrement flagrant quand on sait qu’il a participé lui-même à la rédaction de scénarios tirés de ses propres écrits de fiction, donnant les plus grands films en noir et blanc jamais réalisés. Certains de ses écrits ont été conçus d’emblée pour le cinéma, comme « L’amour sur la colline de la pyramide » avec Ahmed Zaki et « Djamilah » réalisé par Youssef Chahine où Magda incarne une Djamila Bouhired plus vraie que jamais. Notons que la relation de ce grand écrivain avec le cinéma et l’art ne se limitait pas à l’écriture de scénarios et à la mise en image de ses romans. Il a également occupé un certain nombre de postes administratifs liés au cinéma, dont la direction de la Société de soutien au cinéma et a été président du conseil d’administration de l’Organisation générale du cinéma.
Comment des dizaines d’heures nécessaires à la lecture du livre peuvent se transférer tout entières dans une à trois heures de cinéma ?
La puissance de la représentation sur écran des œuvres de Naguib Mahfouz ne tient pas seulement à l’ambiance créée par les techniques de mise en scène, mais également aux dialogues, au tissage narratif et ses tournures surprenantes qui figurent dans le livre original. Si les cinéastes ont préféré se ressourcer dans ses textes, ils récupèrent souvent mot pour mot les répliques. Les mêmes phrases hilarantes, cyniques, attendries ou furieuses sont transposées, surtout quand on sait qu’elles figurent dans le roman en dialecte égyptien. Le long métrage est alors très fidèle au roman qui l’inspire, même si le découpage est quelque peu différent. Pour les feuilletons, le résultat est différent, dans la mesure où le scénariste a besoin de sculpter le texte original et d’imaginer des extensions. Dans ce cas, ils ne peuvent pas être la copie conforme du roman. N’oublions pas, qu’en général, la raison de ce changement de support pour les livres de Naguib Mahfouz est une motivation commerciale, voulant profiter de la réputation déjà bien établie du roman. Une relecture du texte original est conseillée pour confirmer par vous-mêmes les éventuels écarts.