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Le droit de défendre les biens communs

Editorial La Presse

 

Deux mandats de dépôt ont été émis contre l’ancien député Lotfi Ali, et l’ancien président-directeur général de la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG), Romdhane Souid, selon des sources judiciaires. Ils ne sont pas les seuls à être impliqués dans cette affaire hors norme.

La Cour d’appel de Tunis, spécialisée dans la corruption financière, a prononcé le 10 juillet des mandats de dépôt contre Lotfi Ali, mais également son frère, Mouldi Ali, Abdelwaheb Hfaïedh, Romdhane Souid et Slim Feriani, ancien ministre de l’Industrie. L’affaire concerne un contrat d’extraction et de transport de phosphate conclu entre la CPG et les prévenus.

Cette affaire implique des responsables de la haute fonction publique et d’institutions politiques dont un ministre, un député et un PDG. Excusez du peu ! Compte tenu des accusations lourdes qui pèsent sur les mis en cause, ce dossier illustre ce qu’on appelle la corruption systémique, celle qui se situe en amont, qui façonne et influence les législations, qui oriente les politiques économiques d’un pays, celle qui interfère dans l’attribution des marchés publics. L’une des formes les plus graves !

Le phosphate, ressource minière nationale majeure, qui a été, un temps, le fleuron de l’économie nationale, notamment au cours de la décennie 2000-2010, le voilà objet de toutes les convoitises. Le déclin commence en 2010. Quelques jours seulement après le déclenchement du processus révolutionnaire. Un mouvement vindicatif avait alors lourdement impacté des secteurs clés du tissu industriel sur l’ensemble du territoire, notamment là où de grandes usines sont installées, à l’instar de Gafsa et Bizerte.

On avait alors répandu l’idée fausse selon laquelle les chômeurs de chaque région doivent être recrutés d’office par l’usine « locale ». Une sorte de droit du sol régional qui sape les fondements mêmes de l’Etat-nation. Revendiquant un recrutement considéré comme légitime de par le lieu de naissance, les jeunes, par milliers, empêchaient les travailleurs de se rendre sur leur lieu de travail, en bloquant les voies d’accès. Les usines étaient assez souvent mises à l’arrêt.

Le bassin minier de Gafsa était en tête de ces mouvements. Tant et si bien que la Tunisie qui se positionnait parmi les cinq premiers pays producteurs de phosphate dans le monde, non seulement a perdu ses parts de marché à l’exportation, mais a été contrainte, il y a quelques années, d’en importer. C’est dire l’ampleur du désastre.

Le phosphate engrange beaucoup d’argent. Et de ce fait, il semblerait que certains responsables aient estimé avoir droit à une part du gâteau. En attendant leur procès, on pourrait dire que les fonds qui devaient alimenter les comptes publics, pour construire des hôpitaux et les équiper, des écoles et des routes, pour réaliser le développement durable, source d’emplois, y compris dans les régions enclavées, avaient été vraisemblablement détournés. Et détourner l’argent public, c’est comme un citoyen qui lutte pour assurer une vie digne à sa famille, on lui faisait les poches dans la rue, sans qu’il soit en mesure de se défendre. De quel droit ?

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