Kheïreddine Pacha est un grand homme d’Etat. C’est un réformateur, un homme dynamique qui a rendu d’éminents services à la régence au temps des beys. Il s’est attelé dignement dans l’exécution des tâches qui lui ont été attribuées. Il a occupé le poste de grand vizir à l’époque de Mohamed Essadek bey (1859-1882).
Kheïreddine Pacha, originaire de Schekes, est né en 1820, orphelin de père et de mère (martyrs de guerre). Il a été récupéré par des trafiquants d’esclaves pour être vendu et adopté par la famille Tahsine, une grande famille notable d’Istanbul qui s’est chargée de sa formation et de son éducation jusqu’à l’âge de maturité. En 1839, le jeune Kheïreddine est pris en charge par le palais beylical de Ahmed Pacha Bey, bey régnant de 1837 à 1855. Dès son intégration au palais, il a appris le coran, puis les langues arabe et française en plus de la langue turque. Il a étudié les sciences, le fikh, l’histoire, la géographie, les mathématiques, la physique et la chimie… C’était un grand amoureux de la bibliothèque du palais.
La soif du savoir et de la profession
Ahmed Pacha Bey fonde en 1833 l’école militaire du Bardo. Des enseignants de renom venus d’Occident et d’Orient dispensent des cours dans cette école. Kheïreddine Pacha a vite intégré cette école pour parfaire sa formation et se perfectionner dans différentes disciplines littéraires et scientifiques. Dès l’âge de vingt ans, il atteint le grade de caporal-chef hippique et accède par la suite aux différents échelons, lieutenant puis commandant. A l’âge de trente-trois ans, en 1853, plus précisément, il reçoit le grade final de général de l’armée de terre. Suite à cette évolution spectaculaire dans l’octroi des échelons de l’armée, Kheïreddine Pacha réussit totalement son intégration au sein du palais, et ce, par son dévouement exemplaire dans l’application des différentes tâches allouées et finira par jouir de la satisfaction du bey Ahmed qui verra en lui le futur homme de confiance et ne tardera pas à lui attribuer des tâches dignes des hauts responsables siégeant à la cour beylicale.
Kheïreddine le Tunisien
Durant les années 40 du XIXe siècle, la régence de Tunis vit une époque de sécheresse; les ratios agricoles et économiques virent au rouge,… Le bey est alors contraint de solliciter ses sujets pour le payement des impôts et taxes. Ben Ayed le caissier principal du grand vizir Mustafa Khaznadar, fut chargé de la collecte de la mejba (taxes beylicales).
De mauvaise foi, Ben Ayed s’octroie la nationalité française et réussit à s’enfuir en France en 1852 tout en transférant avec lui les fonds collectés à Tunis. Le montant global était de soixante millions de francs français (60.000.000FF). Face à ce désastre économique, Ahmed Pacha Bey trouve l’issue en envoyant son homme de confiance Kheïreddine Pacha illico presto en France afin d’informer les autorités françaises de l’acte malsain de Ben Ayed et de pouvoir récupérer les fonds transférés illégalement.
Bien que l’affaire en question ait mis le gouvernement français dans une mauvaise passe, Kheïreddine réussit à convaincre la commission chargée par la France de suivre de près cette affaire des vils desseins de Ben Ayed. 70% du montant détourné par ce dernier sont finalement rendus à l’Etat tunisien. Auréolé par ce succès, Kheïreddine Pacha est devenu l’homme de la patrie et est surnommé Kheïreddine Ettounsi.
Nul ne peut, en effet, contester la clairvoyance, le dévouement et l’amour de cet homme envers son pays adoptif. Tous les proches du bey et les cadres de la cour (El hachia) et de la Régence de Tunis vouent un grand respect à Kheïreddine Pacha.
Kheïreddine le ministre
Succédant à Ahmed Pacha Bey décédé en 1855, son cousin M’hamed, le nouveau chef suprême du royaume de Tunisie (1855-1859), désigna dans son premier décret beylical Kheïreddine Pacha en tant que ministre de la Mer, poste qu’il occupa jusqu’en 1869 lorsqu’il fut nommé président du conseil de la Choura et président de la Commission financière siégeant à Tunis.
Kheïreddine Pacha, le grand vizir
El Mouchir Mohamed Essadek bey avait trouvé en cet homme sa source de bénédiction alors que le pays traversait une période pour le moins floue et sans issue surtout après des années de sécheresse aggravée par la révolte de Ali Ben Ghedhehem (1864-1866) qui avait ruiné la caisse de l’Etat. Pour le bey, Kheïreddine était considéré comme sauveur de la nation et grand réformateur. Il fut nommé grand vizir (1873) en remplacement de Mustapha Khaznadar démis de ses fonctions. Malheureusement, tous ces atouts n’ont pas abouti à l’amélioration de la situation économique du royaume, ce qui a encouragé cet homme à quitter définitivement son pays d’adoption en 1878, en répondant favorablement à l’invitation du Sultan Abdelhamid à Istanbul où il a occupé le poste de ministre de la Justice. Il a ensuite accédé au rang de grand vizir dans le sultanat ottoman, et termina sa carrière politique en tant que conseiller principal auprès du sultan Abdelhamid. Il décéda en 1890.
Ses œuvres
En dehors de sa carrière, Kheïreddine Pacha était l’auteur de quelques ouvrages réformateurs. Son ouvrage intitulé «Meilleurs chemins pour connaître l’Etat des royaumes» a eu un grand succès et fut traduit en plusieurs langues: français, anglais, turc, etc. Edité en 1867, le recueil revient sur les différentes étapes vécues par l’auteur durant sa carrière administrative et politique, l’ouvrage aborde aussi la question du pouvoir absolu et le danger de l’extrémisme religieux
Kheïreddine Pacha a laissé des traces indélébiles en Tunisie : il est le fondateur du collège Sadiki (1875) ainsi que du «Erraed Ettounsi» le premier journal tunisien (1860). Il avait également réorganisé l’enseignement zeytounien. En un mot, les œuvres de cet homme sont grandioses tant sur le plan politique qu’éducationnel.
Source : Athafe ahl zemène, de Ahmed Ibn Abi Dhiaf