Exposé à l’exode de ses talents à l’étranger, le secteur de l’animation touristique devrait bénéficier de la mise en œuvre d’une réforme en harmonie avec les exigences d’un tourisme compétitif durant toute l’année.
Quand on débarque dans nos hôtels lors de la haute saison estivale, un premier constat incontournable est dressé: les animateurs sont partout là où il y a âme qui vive. Le look branché, jamais avares en sourires, ils vous prennent en charge, durant votre séjour, dès la séance matinale du réveil musculaire jusqu’à l’animation nocturne, en passant par les jeux de plage et de piscine qui se poursuivent tout au long de la journée. Dans leur production quotidienne, se côtoient dynamisme et imagination, détermination et désir de bien faire. Sympas, ils sont, de surcroît, capables de communiquer avec la langue de votre choix. Rien que pour rendre votre séjour plus agréable. S’y plaisent-ils ? «Bien sûr que oui», répond Halim, 22 ans, animateur dans un hôtel de Hammamet, qui évoque une passion incomparable. Pour cet étudiant en marketing, «il n’y a pas plus beau que ce job occasionnel pour s’amuser et nouer des liens, l’espace d’un trimestre avant de basculer de nouveau dans le stress de l’année universitaire».
Au hasard d’une connexion
Cependant, le problème est que de plus en plus d’animateurs prennent la route de l’émigration, sans doute dans l’espoir de mieux monnayer leurs talents. Forts d’une compétence et d’une expérience avérées, l’ambition légitime aidant, ils sautent sur la première aubaine qui se présente via la Toile qui regorge, il est vrai, d’offres d’emploi en la spécialité, émanant de grandes destinations touristique telles que l’Espagne, la France, la Grèce, l’Italie, la Croatie, voire l’Amérique. «Il suffit de savoir parler l’anglais pour se faire embaucher», affirme Iyadh Dridi, jeune animateur tunisien installé depuis trois ans aux Îles Canaries, actuellement parmi nous pour de courtes vacances.
Comment a-t-il pu atterrir dans une contrée si lointaine ? «Tout a commencé, répond-il, au hasard d’une connexion sur Facebook où je suis tombé sur une annonce publiée par un hôtel espagnol. Selon l’une des conditions de recrutement, la langue ibérique est souhaitable, mais pas obligatoire, à condition toutefois d’avoir le verbe facile en anglais. C’est seulement par la suite que j’ai constaté, une fois enrôlé sur place, que plus de 90% des visiteurs de ces îles sont des étrangers venant d’autres pays, notamment les États-Unis, la Grande-Bretagne, la Corée du Sud, la Scandinavie, le Japon, la Chine et les riches monarchies du Golfe». La carrure impressionnante, les cheveux longs et le sourire parfait, cet ex-adepte du culturisme et de la gymnastique n’a pas mis longtemps pour se faire un nom dans les vastes étendues de ces îles paradisiaques. «Oui, lance-t-il, et j’en suis fier, car ce n’était pas chose aisée. En effet, j’avais affaire à une clientèle de la high society qu’il ne fallait absolument pas décevoir, si forts soient leurs exigences et fantasmes. Et c’est ainsi que j’ai réussi, hamdoullah». A-t-il regretté son exil ? «Non, pas du tout» réagit-il, visiblement zen. Et de s’expliquer : «Là-bas, je gagne dix fois plus qu’en Tunisie. Il ne faut donc pas comparer l’incomparable. Et ce qui me rassure le plus, c’est que j’ai pu enfin faire des économies, tout en songeant à enterrer ma vie de célibataire, après avoir découvert la femme de ma vie, en la personne d’une touriste coréenne issue d’une grande famille».
D’après les révélations de notre interlocuteur, beaucoup d’animateurs tunisiens ont connu le même succès à l’étranger «L’exemple le plus frappant, dit-il, est incontestablement celui de mon ami Tarek, ancien animateur d’une discothèque de renom à Sousse, qui a fait fortune dans un grand centre d’animation de la célèbre station balnéaire américaine de Miami, en Floride. L’impossible n’est donc pas tunisien».
Pour l’institution d’un cadre juridique
Tout en savourant les délices de son bonheur, Iyadh Dridi semble loin d’avoir attrapé la folie des grandeurs, puisqu’il a quand même une pensée pour ses anciens camarades tunisiens avec lesquels il a fait ses premiers pas d’animateur. «Il est anormal, proteste-t-il, que ce métier continue de végéter dans le flou et les incertitudes, en l’absence d’un cadre juridique réglementant la profession et défendant les droits des animateurs professionnels. Oui, il est vraiment temps, à mon avis, de passer d’une fonction occasionnelle à une activité permanente, sur toute l’année, comme il est d’usage dans les pays à vocation touristique qui, outre le tourisme balnéaire, s’investissent de plus en plus dans le tourisme alternatif et durable qui fonctionne et rapporte 12 mois sur 12. La Tunisie ne perdrait rien à leur emboîter le pas».
Pour y voir plus clair, La Presse a contacté le directeur général de l’Agence de formation dans les métiers du tourisme (Aftm), Ahmed Jemal, qui indique que «notre agence n’a pas négligé ce métier pour la promotion duquel le ministère du Tourisme ne cesse, en partenariat avec le ministère de l’Emploi, de s’investir, en ce sens qu’on a institué récemment un cycle de formation en animation touristique qui dure deux ans. Suite à quoi, le candidat stagiaire se fait décerner son BTP (brevet de technicien supérieur) qui lui permet de postuler à un poste dans un hôtel». Ces cycles de formation, explique M. Jemal, sont conduits par des experts en la matière et se déroulent dans les quatre instituts (Nabeul, Sousse, Hammamet et Djerba) et les quatre écoles (Aïn Drahem, Tozeur, Monastir et Sousse-Nord) que compte l’Afmt dans le pays.
Toujours est-il que de nombreux promus de ces institutions ne sont généralement recrutés par les unités hôtelières que pendant la haute saison estivale. «Ce problème ne relève nullement de notre compétence», réplique M. Jemal qui assure que «la balle est dans le camp des hôteliers dont peu d’entre eux, en l’occurrence les propriétaires ou gérants de chaînes hôtelières de standing international, acceptent d’engager les animateurs touristiques sur toute l’année, moyennant des contrats CDI (contrat à durée indéterminée) avant leur titularisation».
Pour le gérant d’un hôtel de Djerba, «c’est un faux problème, car comment voulez-vous qu’on recrute à tour de bras pour douze mois, alors qu’on chôme un semestre sur deux ?»