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Tunisie et IDE européens : Moteur de croissance ou risque de dépendance ?

 

En Tunisie, les entreprises européennes occupent une place centrale dans l’économie nationale, créant des centaines de milliers d’emplois et apportant un savoir-faire précieux. Cependant, cette forte présence, bien qu’indispensable, soulève des questions sur la dépendance économique du pays, particulièrement dans un contexte marqué par des défis structurels et une instabilité persistante. Entre moteur de croissance et vulnérabilité, quelle est la véritable portée de ces investissements européens pour l’avenir de la Tunisie ?

La présence des entreprises européennes en Tunisie joue un rôle crucial tant dans la création d’emplois que dans le transfert de technologie et de savoir-faire. Selon les données les plus récentes de l’Agence tunisienne de promotion de l’investissement étranger (Fipa), ces entreprises génèrent environ 407.000 emplois directs et sont présentes à travers 3.300 entités implantées dans divers secteurs. Toutefois, au-delà de ces chiffres encourageants, la relation entre la Tunisie et les entreprises européennes révèle des complexités et des défis qui exigent une analyse approfondie.

L’apport des IDE européens à l’économie tunisienne

Les investissements directs étrangers (IDE) européens représentent un levier important pour le développement économique de la Tunisie. Ces investissements, qui touchent majoritairement les secteurs industriels, le textile, l’agroalimentaire et les services, ont permis de moderniser l’économie tunisienne. Grâce à eux, des industries entières ont pu bénéficier d’innovations technologiques, d’une meilleure productivité  et d’une intégration accrue dans les chaînes de valeur mondiales.

En termes de contribution à l’emploi, les entreprises européennes jouent un rôle clé dans la réduction du chômage, qui demeure l’un des principaux défis économiques de la Tunisie. Le taux de chômage, estimé à 15,3 % en 2023 selon l’Institut national de la statistique (INS), reste particulièrement élevé parmi les jeunes diplômés et les femmes. Les IDE européens ont permis de créer des emplois mieux rémunérés et de meilleures conditions de travail, contribuant ainsi à une certaine stabilisation sociale.

L’apport des IDE ne se limite pas à la création d’emplois directs. Les entreprises européennes en Tunisie génèrent, également, des emplois indirects à travers des chaînes d’approvisionnement locales et des services annexes, comme la logistique et la maintenance. Par ailleurs, en offrant des formations spécialisées et des opportunités de montée en compétence, elles renforcent la qualification de la main-d’œuvre tunisienne, ce qui est essentiel dans un contexte de compétitivité mondiale.

Une dépendance à double tranchant

Malgré ces contributions indéniables, la dépendance croissante de la Tunisie vis-à-vis des entreprises européennes suscite des interrogations légitimes. Le pays se trouve dans une situation économique précaire, exacerbée par les répercussions de la pandémie de Covid-19, les tensions politiques internes, et une dette publique qui atteint près de 85 % du PIB en 2023. Dans ce contexte, les IDE, bien qu’essentiels, révèlent une vulnérabilité sous-jacente.

La dépendance à l’égard des entreprises européennes expose la Tunisie aux aléas de l’économie mondiale. En effet, une récession dans l’Union européenne, qui demeure le principal partenaire commercial de la Tunisie, pourrait avoir des conséquences dévastatrices sur les emplois et les investissements en Tunisie. De plus, les entreprises européennes, soumises à la pression de leurs sièges sociaux et des actionnaires, peuvent décider de délocaliser leurs activités vers des pays offrant des coûts de production plus bas ou un environnement économique plus stable, comme cela a déjà été observé dans certains cas.

En outre, les IDE européens peuvent parfois masquer des réalités moins reluisantes. Par exemple, si ces investissements contribuent à la croissance du PIB, ils ne garantissent pas nécessairement une répartition équitable des richesses. Les bénéfices générés par ces entreprises sont souvent rapatriés dans leurs pays d’origine, limitant ainsi les retombées économiques locales. Cette situation accentue les inégalités économiques et sociales en Tunisie, un pays où les disparités régionales sont particulièrement marquées.

Un besoin urgent de réformes structurelles

Pour maximiser les bénéfices des IDE tout en minimisant les risques associés, la Tunisie doit engager des réformes structurelles ambitieuses. Le premier axe de réforme concerne l’amélioration de l’environnement des affaires. La Tunisie doit devenir plus attractive pour les investisseurs locaux et étrangers, en simplifiant les procédures administratives, en renforçant la sécurité juridique et en luttant contre la corruption. Selon le rapport Doing Business 2020 de la Banque mondiale, la Tunisie se classe au 78e rang mondial pour la facilité de faire des affaires, un positionnement qui reste en deçà de ses potentialités.

Parallèlement, il est impératif de développer le tissu entrepreneurial local pour réduire la dépendance aux entreprises étrangères. Cela passe par le soutien aux PME tunisiennes, qui représentent 90 % du tissu économique du pays, à travers des mesures incitatives, un meilleur accès au financement et la promotion de l’innovation. La Tunisie doit aussi encourager la création de valeur ajoutée locale, notamment en investissant dans des secteurs stratégiques comme les technologies de l’information, les énergies renouvelables et l’agriculture biologique.

Sur un autre plan, une réforme du marché du travail s’impose pour améliorer la compétitivité de l’économie tunisienne. Il s’agit de rendre ce marché plus flexible tout en garantissant des droits sociaux et en facilitant l’insertion professionnelle des jeunes diplômés. Le renforcement de la formation professionnelle, en collaboration avec les entreprises européennes, pourrait permettre de mieux répondre aux besoins du marché et d’assurer une meilleure adéquation entre l’offre et la demande de compétences.

Un équilibre à trouver

Certes, les entreprises européennes en Tunisie sont indéniablement un moteur de croissance pour l’économie nationale et leur contribution à la création d’emplois, à l’amélioration des compétences de la main-d’œuvre  et à l’intégration de la Tunisie dans l’économie mondiale est incontestable. Toutefois, cette relation doit être gérée avec prudence pour éviter une dépendance excessive qui pourrait fragiliser l’économie tunisienne à long terme.

Et pour transformer la présence des entreprises européennes en un véritable levier de développement durable, le pays doit engager des réformes structurelles profondes et promouvoir une diversification de son économie. Seule une approche équilibrée permettra de tirer pleinement parti des IDE tout en assurant une croissance inclusive et résiliente, capable de résister aux chocs externes et de répondre aux aspirations de la population tunisienne.

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