Dans son livre, M’hamed Hassine Fantar reconstitue le parcours des deux grandes figures du « nationalisme » berbère en suivant leurs traces dans l’œuvre de Salluste mais en le recoupant avec d’autres écrits d’historiens de l’Antiquité, notamment grecs
L’auteur de cette note de lecture a dû s’y prendre à plus d’une reprise pour en formuler le titre. Ecrire en langue étrangère (en l’occurrence le français) pour rendre compte d’un ouvrage rédigé en langue arabe au sujet d’acteurs majeurs de notre histoire de souche berbère (l’auteur de l’ouvrage aurait préféré l’usage du terme « libyque ») sur la base de matériaux fournis par des sources latines et grecques, cela donne le tournis. Il y a peut-être en cela le reflet le plus éloquent du déchirement qui nous écartèle lorsqu’il s’agit d’évoquer notre passé à l’aube de sa formation. Non seulement nous connaissons mal ce passé du fait d’une pédagogie défaillante à tous les stades de notre parcours dans la vie, de surcroît, pour une très large part, notre histoire a été écrite par des étrangers, qu’ils aient été de passage sur nos terres, qu’ils s’y soient installés pour une durée variable ou qui furent « instruits » par des relations lointaines dans l’espace et/ou dans le temps.L’ouvrage de référence, édité au printemps dernier par les soins de l’association Ajyèl Ksar Hallal, est dû à la plume de notre grand savant M’hamed Hassine Fantar, historien de renom et, entre autres, ancien directeur général de l’Institut national du patrimoine qui, bien qu’administrativement à la retraite depuis longtemps, n’en continue pas moins à enrichir notre patrimoine scientifique par de précieuses contributions à la connaissance de notre passé. Au demeurant, la même association Ajyèl Ksar Hellal annonce que la rentrée sera marquée par la parution d’une œuvre majeure que le même auteur considère comme le couronnement de son parcours d’homme de sciences.
Souvent en toile de fond, rarement au-devant de la scène
Les Berbères (une appellation étrangère dont la résonance péjorative n’aura échappé à personne mais qui est devenue « pratique » tant les scientifiques maghrébins ne sont pas parvenus à se mettre d’accord sur une appellation unique et du cru, choisissant les uns « amazighes», les autres « libyques » et allez savoir quoi d’autre) sont, donc, les absents/présents de notre histoire. Ils ont toujours animé le paysage du Maghreb (encore une désignation étrangère à caractère ethnocentriste) mais le plus souvent en toile de fond, rarement au-devant de la scène. Des figures de proue en ont ponctué le cours, mais de façon discontinue, de Tacfarinas à Dihiya dite la Kahéna.
Massinissen et Youghourten, pour adopter les dénominations d’origine, furent, au II° siècle avant J.C., les premiers à avoir cherché à édifier un Etat propre à leur nation à une époque où les identités collectives cherchaient à s’affirmer face aux menées hégémoniques de l’empire romain en gestation (Gaulois et Saxons, en particulier). A cette fin, ils ont œuvré à l’unification des populations berbères du Maghreb central (Est algérien et ouest tunisien actuels). Ce faisant, ils sont entrés en contact avec l’Africa romaine proclamée sur le territoire des anciennes possessions carthaginoises. L’ambition affichée par les deux parties de prospérer aux dépens de l’héritage punique les a menés à entrer en conflit armé conduit, côté berbère, par Jugurtha et dont l’issue fut la capture de celui-ci et son exécution à Rome par strangulation en 104 avant J.C.
Un éclairage renouvelé sur les non-dits de l’Histoire
Le détail de ce processus nous a été rapporté par Salluste, général, homme politique puis premier gouverneur romain de la province d’Afrique en 46-47 avant J.C. avant de se consacrer à la rédaction de trois grands ouvrages historiques dont « La Guerre de Jugurtha ».
Dans son livre, M’hamed Hassine Fantar reconstitue le parcours des deux grandes figures du « nationalisme » berbère en suivant leurs traces dans l’œuvre de Salluste mais en le recoupant avec d’autres écrits d’historiens de l’Antiquité, notamment grecs. Mais il a accompli ce travail à travers sa propre grille de lecture qu’il veut débarrassée des scories de l’ethnocentrisme mais surtout des considérations « idéologiques » avant terme qui motivaient la relation de Salluste.
Car, à travers cet écrit, Fantar perçoit le politicien à la retraite mais toujours attentif à l’actualité de la métropole romaine et qui entendait influer sur les débats au Sénat relatifs aux choix politiques devant guider les décideurs. Une approche qui apporte un éclairage renouvelé sur les non-dits de l’Histoire et que nous consommons avec l’innocence des âmes pures…
Deux regrets, cependant. L’absence de cartes qui auraient permis de localiser les scènes du théâtre des opérations et l’usage de patronymes ou de toponymes d’origine qui empêche leur identification par rapport aux appellations modernes (qui penserait à Constantine lorsque l’auteur parle de Carten sans autre précision ?).