Rentrée des tout petits : Les jardins d’enfants, entre prestations moyennes et tarifs exorbitants

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Concernant la qualité des programmes appliqués dans les jardins d’enfants, publics et privés, nous avons relevé que, sur un échantillon d’une quinzaine de personnes interrogées par La Presse, près de 90% se déclarent satisfaites, quand les autres se plaignent de la hausse incontrôlée des tarifs et du niveau professionnel parfois non conforme des animatrices.

La rentrée scolaire, c’est aussi la rentrée des tout petits, ces chérubins hauts comme trois pommes, qui, sacs à dos, ou en bandoulière affublés d’un sourire radieux, prennent le chemin des jardins d’enfants et garderies, sous l’œil attentionné de papa ou de maman, ou des deux ensemble. «Mon petit ange est déjà fin prêt pour l’exercice de l’année préparatoire» dit Habiba Rached, femme au foyer, après les formalités d’inscription. «Certes, ajoute-t-elle, moins de paperasses cette année, mais c’est cher payé», faisant allusion à la hausse des tarifs de prise en charge qui ont, à ses dires, augmenté de plus de 25%. Mais, qu’est-ce qui a poussé cette dame et sans doute plusieurs de ses semblables à opter pour une école privée, alors que les jardins d’enfants, plus abordables, ne se comptent plus dans le pays ? «Tout simplement, répond-elle, parce que j’ai vérifié que les écoles privées, qu’on le veuille ou non, jouissent d’une meilleure réputation dans les domaines de l’encadrement de la petite enfance.  Le programme éducatif, les activités de loisirs, sans compter la compétence des animatrices. Pour moi, l’argent importe peu lorsqu’il s’agit de l’éducation et du confort de mon enfant».

L’invasion des écoles privées 

L’on a constaté que les tarifs appliqués varient entre 300 et 1.200 dinars par mois, selon le standing de l’établissement. Le tarif le plus cher, ce sont les écoles préparatoires privées qui le détiennent, aidées en cela par l’engouement qu’elles suscitent auprès des familles aisées. Ce n’est, en tout cas, pas l’avis de la présidente de la Chambre nationale des jardins d’enfants et des garderies, Nabiha Kammoun, qui évoque «une invasion sauvage de ces structures libres dont le nombre, affirme-t-elle, a connu, de 2010 à 2023, une explosion de l’ordre de 488%, parallèlement au nombre d’inscrits qui a augmenté de 128%».

Rafik Belhedi, propriétaire d’une école privée à l’Ariana, jure qu’il s’agit d’un faux problème. «Nous faire ce procès, réagit-il, c’est fermer la porte au nez des investisseurs tunisiens. Personnellement, au lieu d’un jardin d’enfants classique, qui a fait son temps, je me suis inspiré de l’exemple occidental, et l’efficacité de ses approches éducatives qui ne sont plus à démontrer. Et quand on injecte plus de 125 mille dinars dans un tel projet, il devient anormal de se plaindre des tarifications élevées. De surcroît, nous garantissons la qualité».

Si les classes préparatoires continuent d’essaimer dans les écoles libres, on semble se soucier peu des effets qui en résultent. En effet, contrairement aux jardins d’enfants et garderies scolaires qui sont régis par un cahier des charges réglementant leur création et leur mode de fonctionnement, il n’en est pas de même pour les écoles libres. «L’inexistence d’un cahier des charges, dénonce Mme Kammoun, a ouvert la porte aux abus, avec l’émergence d’établissements anarchiques. Inévitablement, cela a coûté cher aux jardins d’enfants, dont plus de 320 ont été fermés, et d’autres, j’en suis sûre, suivront. Surtout que l’Etat n’a pas encore renoncé au régime de la classe préparatoire instauré dans les écoles publiques depuis 2001, suggérant également l’intégration des jardins d’enfants dans les écoles étatiques, mais sous tutelle du ministère de la Femme.

L’industrie de l’enfance 

Salem Zalila, banquier, évoque, lui, une percée de ce qu’il appelle «l’industrie de l’enfance», en se référant, précise-t-il, «aux prix exorbitants appliqués dans les écoles privées qui grimpent d’une année à l’autre, dans l’impunité totale».

Pour notre interlocuteur, «cela devra cesser, non seulement parce que la ligne rouge a été franchie, mais aussi parce que cette industrie de l’enfance a donné un coup mortel à nos bons vieux jardins d’enfants qui avaient formé des générations d’enfants et de compétences nationales».

Et les familles rurales celles à budget limité ? Eh bien, n’y trouvant pas leur compte, elles n’ont qu’à opter pour l’année préparatoire dans un établissement public. Les plus chanceuses d’entre elles peuvent se rabattre sur les jardins d’enfants municipaux, accessibles à toutes les bourses. «Nous possédons 41 jardins d’enfants intégrés où la moitié de la capacité est gratuitement réservée aux enfants de familles nécessiteuses» indique-t-on au ministère de la Femme qui projette d’augmenter le nombre de ces établissements dans le cadre de la stratégie sociale de l’Etat.

Ledit département a publié, le mois dernier, un communiqué, sous forme d’un appel aux parents, les invitant à n’inscrire leurs progénitures que dans les jardins d’enfants légaux et reconnus par le ministère. Les contrevenants sont-ils au moins sanctionnés ? «On fait de notre mieux, par le biais de visites d’inspection, pour faire respecter la loi en vigueur» réplique-t-on, sans plus de détails.

Des animatrices sous-payées ou non qualifiées

Concernant maintenant la qualité des programmes appliqués dans les jardins d’enfants publics et privés, nous avons relevé que, sur un échantillon d’une quinzaine de personnes interrogées par La Presse, près de 90% se déclarent satisfaites, quand les autres se plaignent de la hausse incontrôlée des tarifs et du niveau professionnel parfois non conforme des animatrices. Celles-ci, a-t-on constaté, ne sont généralement pas bien payées (entre 400 et 600 dinars pour un niveau bac +3). Et, bizarre encore, n’ont pas transité par l’institut national de formation de Carthage-Dermech, jadis passage obligé pour l’exercice de ce métier.

«De toute façon, assure Nabiha Kammoun, l’Unicef a rapporté dans une étude que la formation des enfants dans les traditionnels jardins d’enfants et garderies scolaires est plus efficace que dans les écoles libres …»

Entre-temps, les centres privés de formation d’animatrices poussent aujourd’hui comme des champignons. Bénéficiant de l’aval du ministère de l’Emploi et de la Formation professionnelle et du partenariat avec l’organisme européen ETF, ces centres qui organisent des sessions de formation étalées sur 20 mois, sont donc venus renforcer les rangs des concurrents potentiels dudit institut de Carthage-Dermech. Serait-ce là le signe de la fin d’une époque ?

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