Interview – Raoua Tlili, championne mondiale et paralympique : “Je suis devenue un modèle pour les jeunes et j’en suis fière”

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Aux derniers Jeux de Paris, la championne mondiale et paralympique, Raoua Tlili, a réalisé la meilleure performance tunisienne. Elle s’est intronisée reine du lancer de sa catégorie F41. Elle a, d’abord, remporté la médaille d’or au lancer de poids avant de s’adjuger une deuxième breloque en or également au lancer du disque battant son propre record mondial et paralympique. Elle nous parle de tout cela avec son habituelle franchise et sa spontanéité marquante. Entretien.

Grâce à vos dernières performances à Paris, vous avez apporté beaucoup de joie aux Tunisiens. Peut-on dire que, désormais, vous êtes la nouvelle “ministre du bonheur” ?

«C’est un titre honorifique qui revient à Ons Jabeur. Et même si je suis fière d’avoir donné du bonheur à mes concitoyens grâce aux deux médailles d’or paralympiques que j’ai obtenues à Paris au lancer de poids et de disque, pour moi, Ons restera toujours “la ministre tunisienne du bonheur”.

Alors quel titre honorifique vous convient-il ?

S’il y a un surnom que j’aime bien, c’est la reine. Depuis mon record de 10, 55 m au lancer de poids que j’ai établi aux Jeux paralympiques de Tokyo, le site officiel du Comité international paralympique me présente toujours pour annoncer ma participation à une compétition sous le surnom “The Queen”. C’est parce que depuis les Jeux paralympiques de Tokyo, je domine ma spécialité, le lancer, que ce soit de poids ou de disque.

Le journal La Presse m’a fait l’honneur de me surnommer “La reine du lancer” et j’en suis fière.

Vous attendiez-vous à poursuivre la domination des épreuves du lancer de poids et de disque aux Jeux de Paris ?

Sincèrement, oui et pour cause : depuis 2021, mes deux records au lancer de poids et de disque n’ont pas été battus. Grâce à Dieu, j’ai abordé les Jeux de Paris confiante en moi-même. Et si je suis parvenue à dominer les épreuves de poids et de disque aux Jeux paralympiques de Paris, c’est que j’ai toujours abordé les échéances internationales de grande envergure avec un esprit de guerrière  qui entend  défendre farouchement ses records. A Paris, comme à Tokyo, il fallait que je reste la meilleure même si, avec l’âge, ça devient de plus en plus difficile de surpasser les jeunes qui montent.

On dit, justement, que la concurrence est de plus en plus rude dans le handisport…

Je sais pertinemment qu’une nouvelle génération d’athlètes est en train de monter et de se positionner sur la scène mondiale du para athlétisme. Je sais aussi que, dans la discipline du lancer, qu’il s’agisse de poids ou de disque, c’est la technique de l’athlète qui fait sa force. N’empêche, il faut suivre en permanence la progression des concurrents directs et leur niveau.

Outre le suivi de près des concurrents directs, si j’arrive encore à faire face à la concurrence de plus en plus rude ces dernières années, c’est l’état d’esprit avec lequel j’appréhende les échéances  de grande envergure qui m’aide. Mon objectif n’est jamais de décrocher une médaille d’or, mais de défendre ma première place. Et c’est ce que j’ai fait à Paris. C’est un combat de tous les jours, de l’entraînement jusqu’au jour de la compétition. C’est que, depuis les Jeux Paralympiques de Rio de Janeiro en 2016, la concurrence est très difficile, au lancer de disque notamment. Les lancers n’ont pas baissé à moins de 35 mètres en moyenne.

A titre d’exemple, mon lancer de disque au premier essai aux Jeux de Tokyo était de 34 mètres. Ma concurrente a monté le niveau de 2 mètres. J’ai élevé alors la barre à 3 mètres supplémentaires de lancer pour réussir au final un jet de 37, 97m.

Bref, la  rage de vaincre m’a permis d’améliorer mes performances. Sinon, comment aurais-je pu battre à Paris mes deux concurrentes directes, une Marocaine et une Ouzbèque, âgée chacune de 21 ans seulement.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées lors de votre préparation pour les Jeux paralympiques de Paris ?

S’il y a un problème récurrent auquel je me suis toujours affrontée et pas seulement lors de la préparation de la dernière joute paralympique, c’est la bureaucratie administrative. Une lenteur quand il s’agit de faire le change pour obtenir les frais de mission en devises. A cause de cela, je passe les tout derniers jours avant le départ d’ une compétition, ou même pour un stage, à subir le stress des formalités administratives. Et quand j’obtiens enfin mes frais de mission en devises, commence alors la recherche du billet d’avion que je paye très cher, car je le prends souvent à prix très élevé étant que je m’y prends à la dernière minute. Or, si on facilite les choses pour les athlètes de l’élite, en accélérant notamment l’obtention de devises au niveau de la Banque centrale, cela permettra d’économiser beaucoup d’argent rien qu’en obtenant des billets d’avion à prix compétitifs. Cela ne peut se faire que si on s’y prend à l’avance.

Bref, le stress causé par la bureaucratie à la veille de chaque départ affecte le mental et la psychologie de l’athlète. En ce qui me concerne, j’arrive à me débrouiller en gérant ce stress permanent avant les départs pour les stages et les compétitions. Si on peut éviter à l’avenir que la bureaucratie altère la préparation des sportifs d’élite, ce sera une avancée pour la jeune génération qui s’apprête à prendre la relève.

Après un si long parcours ponctué par tant de consécrations et de médailles, pensez-vous prendre votre retraite ou pas encore?

L’espoir est toujours permis d’exceller encore et encore. Les performances que je suis en train de réaliser, les dernières notamment aux Jeux de Paris, m’encouragent à continuer. Suivre le rythme n’est pas lié seulement à l’âge qui n’est qu’un chiffre. Peut-être un autre cycle paralympique. Qui sait !

Comment le sport a-t-il changé votre vie?

J’ai fait de mon handicap une force. J’estime que j’ai une mission humaine et sociale qui dépasse mon statut de sportive d’élite : y croire en les personnes à besoins spécifiques. C’est une force de pouvoir représenter son pays quand on est handicapé. Je suis devenue un modèle pour les jeunes et j’en suis fière.

Comment les gens vous regardent-ils dans votre ville natale, Gafsa?

Comme une Icône. Ils sont fiers de moi et cela me remplit de bonheur.

Après votre carrière sportive, comment envisagez-vous votre avenir?

Je pense me reconvertir en entraîneuse. Le sport a, non seulement changé ma vie, c’est devenu toute ma vie.  Plus tard, je pense faire profiter mon expérience de sportive de haut niveau à des jeunes et surtout leur inculquer le fait qu’en pratiquant le sport, on peut faire des miracles et qu’on peut faire de son handicap la source de sa force.

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