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Commerce maritime: Pour que nos ports ne naviguent plus à vue

En dépit d’un léger mieux constaté au cours des derniers mois, le secteur du commerce maritime en Tunisie a encore besoin d’un lifting à plusieurs niveaux pour pouvoir résister à une farouche concurrence étrangère.


Nul n’ignore la place de choix qu’occupe le commerce maritime dans l’économie des pays. Regardez ces chiffres pour en avoir le cœur net. Selon le dernier rapport de la Cnuced, ce secteur montre actuellement des signes encourageants, avec notamment l’augmentation du nombre de navires et de cargos (deux millions contre 1,8 million en 2023), une reprise de 5% du commerce des marchandises, la croissance de la demande de biens environnementaux et une hausse de 40% du trafic du tourisme et services liés aux voyages. Ce regain d’efficacité survient, d’après ledit organisme onusien, au terme d’une année 2023 marquée par une contraction du commerce mondial de mille milliards de dollars et du commerce des marchandises de 1.300 milliards de dollars. «Il est évidemment réconfortant de constater ce léger mieux», réagit Ali Farhat, transporteur maritime tunisien de renom qui dirige la puissante société «Mediterranean shipping – Med Ship», qui se montre toutefois moins enthousiaste dès qu’il va au fond des choses. «Certains, remarque-t-il, oublient ou font semblant d’oublier dans l’euphorie un facteur pourtant fort préoccupant, à savoir les tensions géopolitiques qui perturbent les chaînes d’approvisionnement, notamment pour les routes maritimes en proie à des conflits armés, la mer Rouge en tête.

Cela a eu pour effets d’élever les coûts et de prolonger la durée des traversées. Savez-vous, s’interroge, inquiet, notre interlocuteur, que les géants mondiaux du transport maritime ont été si échaudés par les attaques répétées des Houthis qu’ils ont suspendu des dizaines de traversées ? Savez-vous aussi que des  navires sont aujourd’hui dans l’obligation d’éviter la mer Rouge, en empruntant le cap de Bonne-Espérance, à la pointe sud de l’Afrique, un détour énorme qui rallonge de dix jours le trajet habituel, augmente le prix du fuel et provoque d’importants retards d’approvisionnement et de livraison ?». Et M. Farhat d’ajouter : «Nous, professionnels du secteur en sont touchés et nos ports, inévitablement, n’en sont pas épargnés, dans le mesure où cette crise s’est étendue à la mer Méditerranée. En est-on vraiment conscient chez nous» ?

Faut-il croire aux seuls chiffres ?

Loin de la situation explosive émaillant la mer Rouge, qu’en est-il de nos ports de Radès, La Goulette, Bizerte, Sousse, Gabès, Sfax et Zarzis ? Sont-ils assez compétitifs pour résister à ce choc maritime ? Naturellement, il faut reconnaître, avec fair-play, que nous n’avons pas les célèbres ports marocains, Tanger en tête, qui est considéré actuellement comme le plus grand et le plus performant en Afrique, avec—tenez-vous bien—plus de neuf millions de conteneurs traités chaque année. Mais, historiquement, on oublie souvent que les anciens ports de Carthage qui remontent à l’époque punique n’avaient pas leur égal, au point que Carthage était alors surnommée «l’empire de la mer». Aujourd’hui, dès que l’on s’en souvient, on peut parler de revers de la médaille, quand on sait, à titre d’exemple, que le port de Radès, number one en Tunisie, occupe la peu reluisante 9e place au hit parade des meilleurs ports en Afrique, soit loin, très loin, en termes de performance, des deux premiers classés, à savoir Tanger (1er) et Port Said (2e). Restons au port de Radès pour indiquer qu’il a, quand même, enregistré un léger mieux au cours des derniers mois, avec notamment une hausse de 17% du trafic des conteneurs, alors que les prévisions tablent sur une évolution continue de ce taux pour le reste des mois de l’année.

On peut aussi «jubiler» en voyant ce qui se passe dans les autres ports du pays. Tel celui de Gabès qui était, jusque-là, presque paralysé, avant la reprise récente des exportations du Groupe chimique (GCT), ou celui de La Goulette qui s’est payé un joli lifting, dans la foulée de sa réalisation d’une hausse de 42% des entrées touristiques et de 11% du nombre de navires qui y ont accosté. Même note gaie pour le port de Sousse qui a, selon l’Office de la marine marchande et des ports (Ommp), amorcé une belle percée dans ses échanges commerciaux avec les ports de Turquie, Russie, Ukraine, Roumanie et Égypte.

D’autres signes de ce début de regain d’embellie sont à relever. Premièrement, le retour récent, après sept ans d’absence, du puissant transporteur chinois Cosco shipping dans le cadre de son projet de création d’une ligne maritime qui reliera le port de Radès aux ports européens et méditerranéens. Deuxièmement, la construction de deux échangeurs sur la route MC 33 à proximité du port de Radès, de quoi assurer une meilleure fluidité de la circulation pour les semi-remorques et véhicules de transport des marchandises. Troisièmement, le projet des en eaux profondes d’Enfidha, en stand-by depuis… 15 ans, est enfin dépoussiéré après sa prise en main par une entreprise chinoise. D’une superficie totale de trois mille hectares (un tiers pour le port et le reste pour sa zone économique et logistique), ce site, dont les eaux sont d’une profondeur de 19 mètres, aura une capacité d’accueil de cinq millions de conteneurs EVP et de quatre millions de tonnes pour le trafic de vrac. Cela sans compter le rythme accéléré imprimé aux opérations d’acquisition de nouveaux engins, via l’Ommp et la Société tunisienne d’acconage et de manutention (Stam), ainsi que l’amélioration des conditions de fonctionnement des ports, à travers des campagnes de plus en plus fréquentes de rénovation et d’embellissement.

L’IA, le grand absent

De ce tableau si lumineux surgit, hélas, une autre réalité, à savoir les points noirs dont souffre encore le secteur. En effet, outre la lenteur d’accomplissement des formalités administratives et financières et la persistance des problèmes inhérents à la manutention des conteneurs et aux contrats d’exploitation des ports, on déplore les rapports généralement tendus entre les clients et les agents et fonctionnaires en service. «C’est du pur banditisme», s’insurge, sous le couvert de l’anonymat, le propriétaire d’une société en import-export. Cet habitué de nos ports évoque une prolifération inquiétante du phénomène de la corruption. «A cela, rapporte-t-il, s’ajoute un problème de sécurité illustré par le nombre réduit des caméras de surveillance et des agents de contrôle».

Par ailleurs, l’innovation technologique est désespérément absente dans nos ports où on n’est pas encore à l’heure de l’IA maritime. Terme désormais très courant en Occident où il est considéré comme le meilleur garant d’une parfaite gestion portuaire. Et ce n’est pas un hasard si l’IA maritime ne cesse de connaître une croissance rapide dans le monde, avec une valeur actuelle estimée par la Cnuced à 4,13 milliards de dollars (contre 1,67 milliard de dollars en 2023).

La réglementation croissante autour des émissions de CO2 et la gestion de la sécurité encouragent justement, les compagnies maritimes à adopter les technologies de l’IA qui garantissent, il est vrai, une réduction des délais d’attente et une connectivité moderne, tout en permettant aux navires et aux ports de devenir plus intelligents et interconnéctés.

La Stam, selon son PDG Chokri Laâmiri, y a pensé, paraît-il, en incluant dans son nouveau programme de développement des priorités, dont l’alignement de l’entreprise sur les normes internationales, le renforcement des ressources humaines et l’adoption de l’Intelligence artificielle pour mieux fluidifier la gestion des flux de marchandises.

Après l’ambitieux projet du port d’Enfidha, la Tunisie est devenue, depuis le mois de mai dernier, membre de la puissante Banque sino-asiatique de développement (Aiib), institution spécialisée dans la création et le financement des projets d’infrastructure concernant les ports commerciaux. Peut-on dire bonne nouvelle pour nos ports?

Acceptons-en l’augure.

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