L’exploitation des enfants dans la mendicité ne date pas d’hier. Ce phénomène avance à pas de géant dans un terrain général et institutionnel des plus favorables.
L’état des lieux de l’enfance est décelable dans la rue ! Il est parfaitement aisé de constater les résultats de tant de négligence et de méfiance face à cette catégorie et cette tranche d’âge à dominante vulnérable. Des enfants, parfois à peine venus au monde, passent leurs journées dans la rue, été comme hiver, pour susciter la compassion des généreux. Ils sont exploités, économiquement, tels des hameçons, pour attendrir les cœurs des passants. Pris au piège, ces derniers n’hésitent pas à répondre favorablement à la requête, dans l’intention de contribuer aux besoins élémentaires de l’enfant. Ils ignorent, sans doute, qu’ils ne font qu’alimenter et renforcer tout un réseau, spécialisé dans la traite des enfants !
Le terrain est favorable !
En effet, l’exploitation des enfants dans la mendicité ne date pas d’hier. Ce phénomène avance à pas de géant dans un terrain général et institutionnel des plus favorables. Certes, cet état déplorable serait contesté par monsieur tout-le-monde bien avant les responsables.
Néanmoins, aucune action n’est menée, afin d’entraver cette infraction infligée à l’enfance. «Depuis 2011, l’enfant tunisien est sorti des radars de tous les responsables de l’Etat. Il ne fait plus partie des composantes de l’Etat, notamment celle législative, exécutive, partisane et celle associative. Il ne remonte à la surface des intérêts que d’une manière événementielle, soit lorsqu’il y a transgression criante des droits de l’enfant. Depuis 2011, l’enfance tunisienne ne bénéficie d’aucune politique ni d’aucune stratégie, à même d’améliorer sa situation et sa condition. On continue à utiliser les mêmes slogans, mais on ne fait strictement rien», indique le Dr Moez Chérif, président de l’Association tunisienne de défense des droits de l’enfant.
Autant de droits bafoués
Il suffit, en effet, d’analyser la situation de l’enfance tunisienne, dans sa totalité, d’examiner l’avancement de trois secteurs fondamentaux liés aux droits de l’enfant pour comprendre l’acheminement de tant de défaillances vers la traite des chérubins. Le défenseur des droits de l’enfant montre du doigt moult lacunes qui demeurent sans solution aucune.
A son avis, tous les indicateurs dévoilent une altération progressive et inexorable des droits de l’enfant. «Le taux des enfants vivant en dessous du seuil de la pauvreté est passé de 16 à 26%. Il tend à augmenter puisqu’à défaut de solutions, de stratégies et de perspectives, la situation ira en empirant», souligne-t-il. Il évoque, en outre, un autre indicateur alarmant, celui relatif à l’abandon scolaire : «Lorsque les parties concernées avancent un chiffre des plus alarmants, celui de cent mille abandons scolaires par an; soit un million d’enfants en dix ans n’ont plus accès à l’éducation. Cela signifie que l’on a déjà sacrifié une génération. Pis encore, tous les blocages qui tournent autour de la réforme du système éducatif, mais aussi ceux relatifs à l’accès à la santé, n’ont pas été résolus jusqu’à nos jours !». Et Dr Chérif de poursuivre, «cette situation est la preuve palpable de l’absence de toute volonté, à même de faire sortir les enfants des tiraillements politiques. Résultat : des enfants sont dans la rue, livrés à eux-mêmes ou exploités dans le cadre de la traite des humains».
Traite des enfants, la plus dominante en Tunisie
Ainsi, le phénomène semble-t-il prendre de l’ampleur. Dans les villes, aux coins des rues, au feu rouge, devant les mosquées, les supermarchés et les commerces de nourriture, des familles entières prennent place pour demander l’aumône. Les enfants sont entraînés dans cette sphère d’humiliation, de victimisation, d’indignité et de précarité. Ne se souciant guère de l’enfant, de son droit de vivre dans un espace décent, de son droit à la dignité et à l’intégrité, les mendiants font de lui un «petit mendiant» malgré lui. Il s’affiche ainsi, à la société, comme étant tel, au vu et au su des citoyens, des défenseurs des droits de l’Homme et des responsables de l’Etat, sans que sa situation ne semble déranger personne. «Pourtant, la loi 2016 identifie l’exploitation des enfants dans la mendicité comme de la traite, laquelle est la forme d’exploitation économique la plus grave. De son côté, l’Instance nationale de lutte contre la traite des personnes (Inltp) considère que la traite des enfants est, indéniablement, la forme la plus dominante de traite en Tunisie, pour laquelle on a prévu un cadre institutionnel et une stratégie qui n’ont jamais été mis en œuvre. Nous sommes face à une négligence telle que nous ne pouvons même pas compter sur des statistiques fiables sur les enfants victimes de traite, chose qui renforce l’aveu d’abandon», ajoute-t-il.
Les enfants n’ont-ils pas tous les mêmes droits ?!
Pour venir en aide aux enfants en situation de rue et exploités dans la mendicité, l’Association tunisienne de défense des droits de l’enfant a mis en place un système d’accueil de jour; une action qui a pour finalité de trouver des solutions sociales, économiques, mais aussi affectives au profit de cette population-cible.
Le président de l’Association a négocié avec le ministère de la Famille, de la Femme, de l’Enfance et des Séniors, ainsi que les collectivités locales, deux années durant, dans l’optique de décrocher un partenariat fructueux, à même de permettre de trouver des solutions opérationnelles. Et ce n’est qu’en février 2024 que la convention de partenariat fut signée, enfin, pour être rompue, quelques mois après ! «Nous avons élaboré ce projet en fonction du degré de la vulnérabilité desdits enfants. Pour nous, tout enfant en situation de rue, de précarité et de traite a droit au système d’accueil de jour. Sauf que notre capacité d’accueil ne dépassait pas la quarantaine. Aussi, choisissions-nous les enfants qui sont plus vulnérables que d’autres. Le ministère de tutelle ne voyait pas les choses du même angle. Pour lui, il fallait choisir parmi les enfants de grande vulnérabilité mais pas en raison de leur grande vulnérabilité ! Or, pour nous, ceux qui sont en plus grande vulnérabilité ne sont autres que les enfants qui endurent un problème de mobilité, qui n’ont pas la nationalité tunisienne, qui sont seuls et précaires ! Ces enfants-là sont dans une situation de vulnérabilité extrême !», explique -t-il. Et d’ajouter que même le Code de protection des droits de l’enfant parle des droits des enfants en Tunisie et pas uniquement ceux de nationalité tunisienne ! Le ministère de tutelle a finalement rompu la convention de partenariat. «Quelques mois ont suffi pour réduire en miettes un projet qui était censé redonner le droit à des enfants qui n’en ont pas», indique Dr Chérif.
Faute de moyens, son Association a fini par lâcher. Les petites mains des mendiants naissants continuent à être tendues, les généreux continuent, malencontreusement, à jouer le rôle de maillon fort de la chaîne de traite, et les slogans des droits de l’enfant n’ont cessé d’être scandés à longueur de l’année…